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Histoires de Voyageurs et émigrants


Renseignements sur l'émigration aux États-Unis

M. H. Malli

consul de Belgique à New-York

Rapport adressé à M. le ministre des affaires étrangères.

 

Moniteur Belge
du 01 septembre 1855
n° 244
p. 2846-2848

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Tableau 1

Population belge
aux Etats-Unis

Maine 2
NewHampshire -
Vermont -
Massachusetts 36
Rhode-Island 2
Connecticut 2
New-York 400
New-Jersey 43
Pensylvania 126
Delaware 1
Maryland 5
District of
Columbia
14
Virginia 7
NorthCarolina 1
South Carolina -
Georgia 41
Florida 4
Alabama 4
Mississipi 3
Louisiana 115
Texas 8
Arkansas 2
Tennessee 4
Kentucky 27
Ohio 103
Michigan 112
Indiana 86
Illinois 33
Missouri 50
Iowa 4
Wisconsin 45
California 12
Minnesota 1
Oregon 11
Utha -
New Mexico -
Total 1,312


Tableau 2

Emigrants belges 
arrivés à New York 
de 1850 a 1854

1850 230
1851 475
1852 82
1853 34
1854 398
Total 1,219


Tableau 3

Détail de la population belge a Green Bay, Wisc.

Population totale en 1850 : 1900

Belges en 1855 :
-  Agriculteurs et journaliers : 284
- Marchands et artisans :    31
- flamands :   38
- wallons :   257

Monsieur le Ministre,

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 3 mai dernier, en m'en rappelant une de M. votre prédécesseur du 7 juillet 1854, par laquelle m'étaient demandés des renseignements propres à guider les émigrants qui s'adressent au ministre pour obtenir une direction. Je vais essayer de répondre à cette lettre que je n'ai jamais perdue de vue, mais pour laquelle je ne pouvais que réunir lentement les matériaux que m'apporte le courant des affaires du consulat.

Cette lettre commence par distinguer trois catégories d'émigrants : les cultivateurs, les artisans et les gens sans profession déterminée.

Trois questions y sont ensuite posées : 
1°  Quel est, de ces trois classes celle qui réussit le mieux ? 
2° Quels sont les points vers lesquels l'émigration belge se dirige de préférence ? 
3° Quel est approximativement le nombre des émigrants belges qui se trouvent dans ma circonscription consulaire, à laquelle des trois classes ci-dessus appartiennent-ils, et quelle est leur position ? 

Je suis invité enfin à ajouter à ces renseignements tout ceux que je suis à même de fournir sur des points accessoires.

La première chose à faire pour répondre à ces questions serait de bien constater le chiffre de la population belge et sa distribution sur le territoire.

La nationalité des habitants de l'Union est constatée dans les recensements décennaux que publie le gouvernement fédéral. Dans l'intervalle d'une période à l'autre, ces renseignements peuvent être tenus au courant à l'aide des relevés annuels du nombre des émigrants publiés par la commission d'émigration de l' Etat de New-York et où sont également distinguées les nationalités. Je joins à ce rapport deux tableaux tirés de ces documents sous n° 1 et 2.

Mais de ces deux documents le premier est peu approximatif et même peu sûr; le second n'est que partiel et a besoin d'être complété par les relevés analogues des autres ports de débarquement; il ne donne d'ailleurs pas la distribution des arrivants sur le territoire.

A part ces renseignements déjà si défectueux, l'absence d'un lien quelconque entre les émigrants belges et même entre les résidents de cette nation, tel que celui qui existerait d'un agent d'émigration ou d'une société de bienfaisance, comme la Société française, et surtout la Société allemande, rend impossible une réponse satisfaisante aux trois questions ci-dessus, surtout en ce qui concerne la ville de New-York. En admettant qu'il s'y trouve 300 à 400 Belges, une moitié appartient à cette population essentiellement  flottante dont il est à la fois impossible et inutile de constater la position, parce qu'elle change du jour au lendemain. Sur l'autre moitié je connais à peine une vingtaine de personnes, et elles n'appartiennent pas à la classe qu'a en vue la lettre à laquelle je réponds. Les autres qui sont des artisans, de petits détaillants et qui sont ceux qu'il importait précisément de connaître, me sont pluses (sic) inconnus de tous, et leur existence ne se révèle à moi que quand ils viennent prendre des passe-ports pour s'en retourner ou quand des renseignements me sont demandés sur leur compte, c'est-à-dire quand on ne sait plus où les trouver.

Déjà le 5 août 1853 des questions du même genre avaient été adressées au vice-consul, et le 9 janvier suivant j'avais l'honneur de répondre pour lui à ce sujet. Ma réponse ne faisait guère qu'exposer la difficulté que je viens de rappeler et constater ce fait que les émigrants ne prennent jamais le chemin du consulat que quand ils ont des secours ou des services à demander, et que la plupart de ceux qui s'y présentent sont des individus sans aptitude ou sans disposition au travail, et ne peuvent être, par conséquent, considérés comme constituant un élément et un précédent de véritable émigration.

Ce qui était vrai alors l'est encore aujourd'hui.

Cependant, pour ajouter quelque chose à ce que je disais à cette époque, je commencerai, Monsieur le ministre, par reporter votre attention sur l'ouvrage remarquable, publié en 1845, par M. Vander Straeten, alors premier secrétaire de légation à Washington. Ces 150 pages si substantielles, si intéressantes et qui dénotent un habile observateur, un penseur profond, un esprit sage, doivent, suivant moi, être prises comme base et point de départ de toutes les recherches ultérieures sur l'émigration américaine. Les opinions de l'auteur sur les trois principales conditions de succès en ce pays, savoir le travail agricole, le choix de la région du nord-ouest et le système de l'agglomération sont d'une justesse, d'une solidité que tous mes renseignements et toutes mes observations viennent vérifier.

Le meilleur travail qu'il y eût à faire dans le sens de celui pour lequel je vous adresse quelques matériaux imparfaits serait une nouvelle réédition de ce livre mis au courant de faits actuels, eu égard spécialement aux Belges, et après une vérification locale aussi consciencieuse que celle a laquelle l'auteur s'est livré.

Des trois catégories d'émigrants celle à beaucoup près qui réussit le mieux, ou plutôt, il faut dire, la seule qui réussisse en règle générale est celle des cultivateurs, surtout quand ils arrivent en famille ou en société, avec un capital, 2,000 à 3,000 fr. et une direction tirée d'une correspondance antérieure avec des Belges déjà établis dans l'Union et auxquels ils vont se réunir. Je reviendrai plus tard à cette classe, la seule, dans mon opinion, à laquelle puisse profiter la sollicitude du gouvernement.

Les artisans ont peu de chance de succès : les ouvriers de fabrique et d'usine, parce que le travail des matières textiles et minérales est concentré dans de très grands établissements qui n'ont en général d'ouvriers étrangers que ceux que dans un but spécial ils ont eux mêmes fait venir d'Europe; les ouvriers en bois, tels que charrons, charpentiers, menuisiers, parce que le bois se travaille ici à la mécanique; les tanneurs parce que ce travail se fait par des procédés très expéditifs aux dépens de la qualité; les maçons, briquetiers, marbriers, parce que les ouvriers du pays excellent dans ces parties; les tailleurs, les cordonniers, les couturières parce que le pays en regorge; les ouvriers appartenant à d'autres industries enfin parce que ces industries ne se développent pas, l'importation étant plus avantageuse que la fabrication; tous, en général, parce que le travail à la main doit être extrêmement expéditif et rivaliser presque avec la fabrication à la machine, pour que le salaire rémunère le travail, ce à quoi ne sont aucunement fait nos ouvriers, parce que d'autre part la cherté des loyers et des subsistances dans les grands centres de travail industriel est telle qu'elle neutralise le taux élevé des salaires. Mais la grande, l'insurmontable difficulté pour cette classe d'émigrants, difficulté qui n'en est pas une pour les cultivateurs, c'est l'ignorance de la langue anglaise, les patrons américains ne pouvant s'expliquer avec eux, ou, sous ce prétexte, n'accordant que des  alaires tout à fait insuffisants.

J'ai visé ou délivré depuis l'automne dernier 8 à 10 passe-ports à des artisans belges arrivés ici avec tout ce qu'il fallait pour réussir, moins la connaissance de la langue, et qui, après avoir mangé tout ou partie de leur pécule, s'en retournaient faute d'ouvrage ou mécontents de celui qu'ils trouvaient ici. L'un d'eux mérite d'être cité : c'est François A. de Gand, âgé de 25 ans, cordonnier en fin. Il venait de Paris où il avait laissé sa jeune femme, elle-même ouvrière et qu'il comptait faire venir après avoir sondé le terrain. Arrivé depuis 6 mois il avait eu constamment de l'ouvrage et gagnait, à la pièce, un dollar 50 cents par jour. Son patron, sachant qu'il voulait s'en aller, lui offrait une augmentation. Il n'en venait pas moins prendre son passe-port. Je n'apprends rien, me disait-il, il faut travailler trop vite : je me gâte la main, et la vie est trop chère. J'ai fait une sottise de venir. Prenez garde d'en faire une seconde en vous en allant, lui disais-je; 8 francs par jour ne se trouvent facilement en aucun pays  du monde. J'en gagnais 7 à Paris, répondit-il, et il ne m'en coûtait que la moitié pour vivre agréablement. J'ai bien réfléchis et je pars. Il doit être maintenant à Paris.

Ce jeune homme devait être un fort bon ouvrier; il paraissait fort intelligent; il avait fait une expérience bien complète, et il n'est pas à supposer qu'il eût d'autres motifs que ceux qu'il donnait. Voilà un fait vrai, positif, non suspect et qui en dit à lui seul plus que bien d'autres.

Après cela il y a sans doute d'heureuses exceptions. Quelques artisans restent et réussissent : ce sont ou des individus particulièrement doués, ou des ouvriers qui vont dans l'ouest se mêler à la population agricole.

Je connaît un ouvrier tailleur, natif du Hainaut, coupeur dans une des premières maisons de cette ville qui a déjà trouvé moyen d'amasser 700 dollars en 2 ans.

Je sais un charpentier d'Anvers établi à Port Byron, près du lac Ontario avec ses deux garçons, charpentiers comme lui, qui prospère si bien qu'il vient d'envoyer l'un d'eux chercher le reste de la famille.

En outre il y a place encore pour plusieurs spécialités. Mais elles doivent être étudiées une à une : ce serait la matière d'un traité. Et d'ailleurs des indications spéciales et presque individuelles emportent une responsabilité qui n'entre pas dans les intentions de la lettre à laquelle je réponds.

Ce sont des faits spéciaux ou exceptionnels du genre de ceux auxquels je viens de faire allusion qui mal présentés ou mal compris tournent en Europe la tête à tant de gens et leurs préparent ici de cruelles déceptions.

Viennent enfin les journaliers et les domestiques.

La domesticité, comme métier ouvert au premier venu, ne vaut pas mieux ici qu'ailleurs : New-York compte cent bureaux de placements dans chacun desquels une centaine de servantes irlandaises attendent en permanence les chalands comme position, la domesticité est une fermée ici comme ailleurs et qui ne s'ouvre que sur de bons renseignements.

Quant aux manœuvres, hommes de peine, journaliers, si ce sont des hommes vigoureux et laborieux, ils trouvent à s'employer dans les travaux des quais et de la petite voirie, et dans les grands ateliers des canaux et des chemins de fer.

Mais dans ces deux directions, ils rencontrent plusieurs obstacles, plusieurs écueils. C'est d'abord la concurrence des gens du pays et ceux des Irlandais qui sur tous les points se présentent par masses, ce sont encore les chômages annuels des travaux de terrassement pendant lesquels cette masse d'hommes, ici plus encore qu'ailleurs, dissipe dans l'intempérance les ressources amassées pendant la bonne saison. Ce sont enfin les cessations absolues des grands travaux résultant de crises financières telles que celle qui règne depuis plus d'un an. De ces causes réunies il résulte tôt ou tard que cette classe d'hommes condamnée à une existence nomade et à l'isolement, après s'être soutenue quelque temps, finit par tomber dans la misère.

En parcourant ainsi que je viens de le faire les trois catégories que distingue la lettre ministérielle, j'ai supposé les individus dans les conditions personnelles généralement voulues pour réussir, sauf la connaissance de la langue. Mais le véritable objet de la préoccupation européenne dans la question de l'émigration, l'élément qui cherche et pour lequel on cherche surtout un débouché, c'est cette masse de pauvres journaliers de campagne, d'artisans médiocres des villes et d'ouvriers de fabrique sans travail, les uns et les autres surchargés d'enfants auxquels ils n'ont à transmettre qu'une irrémédiable misère, enfin d'individus sans aucune aptitude physique ou professionnelle qui pèsent sur les communes, qui encombrent les hospices et les dépôts de mendicité. 

Je vais de nouveau passer en revue ces trois classes en les supposant cette fois dans les plus mauvaises conditions.

Ceux de la dernière sont ce que l'on nomme en anglais des paupers; ils touchent aux repris de justice ou convicts. Il est inutile de s'en occuper désormais, au point de vue de l'émigration américaine; ils ne seront plus admis à débarquer. L'Etat de New-York a renforcé sa législation; la municipalité est résolue a exercer l'action la plus énergique, et la commission d'émigration la surveillance la plus active pour préserver le pays de cette immigration.

Les artisans médiocres et les ouvriers de fabrique, en supposant même qu'ils arrivent avec quelques ressources suffisantes pour échapper à cette exclusion, sont inévitablement et immédiatement voués ici à une détresse plus affreuse que celle à laquelle ils veulent se soustraire en émigrant.

La seule chose à faire en vue de l'émigration à l'égard de ces deux classes, les gens sans profession et les pauvres ouvriers des villes, est de les y préparer (ce n'est pas l'affaire d'un jour) en ramenant les générations nouvelles au travail de la terre, c'est à dire à la condition de la troisième classe, celle des pauvres journaliers de campagne.

En effet, et pour terminer par où j'ai commencé, les gens adonnés, soit principalement, soit accessoirement, au travail de la terre, petits cultivateurs, journaliers, artisans de campagne, sont la seule classe dont l'émigration soit véritablement à encourager dans son intérêt et à laquelle une direction puisse être utile. Il ne manque aux pauvres journaliers qu'un fonds à cultiver. Ce fonds ils le trouveront toujours dans l'ouest de l'Amérique. Mais il faut premièrement qu'ils puissent y arriver, ce qui suppose un pécule de 20 à 30 dollars par individu en débarquant à New-York. Il faut, en second lieu, qu'ils aient reçu à Anvers même une direction qui ne les quitte qu'à leur destination définitive ou que cette direction les saisisse à leur arrivée ici. Il faut enfin qu'ils aillent se réunir à un des noyaux d'émigrants belges déjà existants.

Il y en a deux principaux : Sheldon, dans le comté de Wyoming, Etat de New-York, près des lacs Erié et Ontario, à 150 lieues de cette ville, et Green-Bay dans le comté deBrown, Etat du Wisconsin sur le lac Michigan, à 400 lieues d'ici. 

Il y a encore d'autres localités du même genre, telles que :
-Port Byron [Cayuga county : from the censuses : 1 Belgian in 1860, none in 1865] à 100 lieues d'ici, près de l'Ontario. (comté de Cayuga, NY)
-Port Washington, près de Green Bay, canton dans le comté de Stark, Etat d'Ohio,
-Léopold dans le comté de Perry, Etat d'Indiana, et
-Indianola, dans l'Etat d'Illinois
mais suresquelles (sic) je n'ai que des données vagues.

Quant à Sheldon et à Green Bay, je joins ici un troisième tableau dont j'ai depuis longtemps et successivement réuni les éléments. Ils m'ont été fournis par les affaires courantes du consulat, telles que législations, visa de passe-ports, conversations des Belges qui ont habité ces localités; mais pour les compléter, les vérifier au moment de m'en servir, pour les rendre aussi pratiques que possible, j'ai du m'adresser à des personnes sûres, se trouvant sur les lieux mêmes ou a proximité. Je suis certain que ces renseignements, judicieusement employés, auront incomparablement plus de valeur pratique que toutes les tentatives de colonisation directe qu'on a pu faire, que toutes les agences qu'on pourrait établir, que toutes les idées nouvelles qu'on pourrait essayer.

Voici les développements de ces tableaux :

Green-Bay était une ville de 1,500 habitants en 1845, de 1,900 en 1850 : il y en a probablement 3,000 aujourd'hui. On me promet de m'envoyer prochainement le tableau du recensement qui se fait en ce moment. J'aurai l'honneur de vous le transmettre. La ville de Green-Bay est située au fond de la baie du même nom, sur le lac Michigan, presque à l'embouchure du Fox-River qui met ce lac en communication avec celui de Winnebago; cette position assure à cette ville un bel avenir.

A 5 ou 6 lieues de là, vers le nord-est et à une lieue de la baie, dans un terrain boisé et entrecoupé de marécages, se trouve l'établissement belge, qui n'a encore que la dénomination vague de Green-Bay settlement, épars sur une étendue de une à deux lieues. Cette colonie compte 50 à 60 familles, et 300 à 400 individus. Ce sont en grande majorité des Wallons, originaires des communes de Frez-Doiceau, de Biez, de Boulez et de Putiebois, vivant agglomérés, et quelques Flamands disséminés. Un tiers défriche et cultive des terres ou exerce des métiers, les autres sont dans les forêts où ils vivent des bardeaux qu'ils vont vendre à la ville et gagnent à ce travail environ 4 francs par jour. Tôt ou tard ils se feront un quai ou port qui facilitera l'écoulement de leurs produits et l'arrivage des émigrants. Presque tous sont contents de leur sort, et la colonie peut être considérée comme une des plus heureusement placées et des plus prospères du Wisconsin.

Cependant il ne faut pas se dissimuler que le façonnage des bardeaux et le défrichement sont un rude préliminaire pour ceux qui arrivent sans capitaux. De mieux partagés au contraire achètent des terres déjà défrichées, ou même des fermes toutes faites, pourvues d'habitations et de bétail, et y appliquent très fructueusement, les Flamands surtout, leurs connaissances en agriculture.

La terre est une argile sablonneuse d'excellente qualité, d'une épaisseur d'un demi pied à 6 pieds, au dessous de laquelle est une couche calcaire de plusieurs centaines de pieds; l'acre non défrichée est vendue par le gouvernement à 75 cents de dollar, mise en culture elle vaut de 15 à 20 dollars. Le prix de fermes toutes montées est de 800 à 5,000 dollars.

Le township ou canton de Green-Bay sur lequel existe cette colonie belge est en outre habité par 60 à 70 familles de canadiens français, 30 familles hollandaises, 70 familles allemandes, et un petit nombre d'Américains, Irlandais, Ecossais. Ce sont les Canadiens et les Allemands qui font et vendeznt des fermes. A six ou sept lieus de là, à l'est du Fox River est un endroit dit Pishitigo où se trouvent encore des Flamands, et à une dizaine de lieues le Port-Washington, berceau d'une autre petite colonie belge.

Une particularité que l'on m'indique et que je ne veux pas omettre à titre de simple indication, c'est qu'il y aurait place pour un brasseur qui viendrait s'établir à Green-Bay, à portée de ces populations européennes qui souffrent de la privation de la bière à laquelle elles ne peuvent suppléer que par l'usage abrutissant du gin.

Le climat est parfaitement sain et semblable à celui de la Belgique, sauf qu'il est moins tempéré. La saison la plus favorable pour un premier établissement est l'automne, c'est-à-dire les mois de septembre et d'octobre.

Il y a deux voies différentes pour aller : l'une plus ancienne  par New-York, le chemin de fer de cette ville à Buffalo, et le bateau à vapeur "le Michigan" de Buffalo à Green-Bay; l'autre plus récente par le Canada et les lacs, au moyen d'un canal nouvellement ouvert. Les émigrants se plaignent de la dépense par la 1ere à New-York, Albany, etc.; ils sont d'ailleurs exposés à attendre à Buffalo le départ du Michigan qui n'a lieu que tous les 15 jours. 77 Belges nouvellement expédiés par la maison Leroi et Steinman d'Anvers, Quai du Blé de Zélande, se félicitent au contraire d'avoir pris la 2ème; il ne leur en a coûté en tout que 200 francs; ils ont été parfaitement traités et n'ont eu à s'occuper de rien. Il y aurait même une 3ème voie par le Pennsylvania central Railroad, soit qu'on débarquât ici ou à Philadelphie. Je n'ai pas de renseignements suffisants pour émettre une opinion sur la meilleure de ces directions.

Mais de quelque manière que les émigrants arrivent à Green-Bay, j'indiquerai M. P.-B.-A. Massé, notaire en cette ville, de qui je tiens une grande partie des renseignements ci-dessus, comme la personne la plus sure à laquelle ils puissent s'adresser pour une direction ultérieure : c'est l'homme de confiance des Belges.

Sheldon est une commune toute rurale, établie sur un terrain aujourd'hui presque complètement défriché, dans une des plus fertiles contrées de l'Union, à 10 lieues de Buffalo, ville de 60,000 âmes, sur le lac Erié, qui suit la même progression que Chicago sur le Michigan.

Le climat de Sheldon est à peu près le même que celui du Luxembourg. Le terrain est accidenté : il abonde en sources qui fournissent de fort bonne eau. Une partie du sol est graveleuse, profonde, excellente pour les céréales; une autre est argileuse et moins bonne que la première. La plus grande partie du terrain est à l'état de prairie naturelle. L'élève (sic) du bétail est la ressource principale du pays. Les produits se vendent au marché de Buffalo. L'acre de terre qui se vendait, il y a 10 ans, 2 à 3 dollars n nature de bois et 7 défriché, en vaut aujourd'hui 15 à 20, et dans 10 ans en vaudra 30 à 35. Il faut 30, 40 et 50 acres pour composer une ferme.

Je n'ai pu, malgré des démarches réitérées, obtenir de renseignements précis sur la population de Sheldon et sur ses principaux éléments. Voici cependant quelques détails qui en donneront une idée. Il y a une centaine de familles belges, la plupart Wallons; une vingtaine de familles françaises, peu d'Américains et des Allemands en nombre prédominant. Il s'y trouve 4 stores ou magasins de toute sorte d'objets (ce qui comprenais autrefois en Europe les commerces d'épicerie, de mercerie, de quincaillerie ), qui s'approvisionnent à New-York. On y compte deux bouchers, tous deux Allemands; deux brasseurs également Allemands dont l'industrie est quant à présent tenue en échec par la mise en vigueur de la loi du Maine, ou loi prohibitive du commerce des boissons; deux charrons, 1 belge, l'autre Allemand; 2 forgerons belges; plusieurs charpentiers qui font de bonnes affaires; 5 cordonniers et 3 tailleurs les uns belges, les autres allemands. Tous ces artisans cultivent accessoirement.

Il n'y a pas de boulanger, chacun cuisant pour ses besoins; chacun fait également son savon, sa chandelle, son cidre, et son sucre ou sirop; le sucre se fait avec le suc qui découle par incision d'une espèce de mappletree, érable à sucre. Le prix de la livre de porc est en ce moment de 6 à 7 cents.

Les communications vicinales sont bonnes. La seule voie que prennent jusqu'ici les émigrants est le chemin de fer de New-York à Buffalo qu'ils quittent à Attica ou à Darien, à 5 ou six lieues de leur destination; mais ils se plaignent des mécomptes qu'ils rencontrent sur cette voie, surtout à Albany. Il semble que, si ce qu'on dit de la nouvelle direction pour Green-Bay par le Canada est vrai, elle serait également avantageuse pour quelques ports de l'Ontario, à proximité de Sheldon, tels que Rochester. La meilleure saison pour s'installer y est, dit-on, le printemps.

Les Belges ont une école fort bien tenue par un de leurs compatriotes du Luxembourg. La rétribution est de cinq dollars par an et par enfant.

L'individu qui m'a fourni de vive voix la plupart de ces renseignements sur Sheldon, est un sieur Henrich, originaire de Messancy, qui paraît être le cultivateur belge le plus aisé de cette localité. Il y est établi depuis 10 ans, il possède 100 acres, une vingtaine de bêtes à cornes, 2 chevaux, 5 porcs, peu de volaille, fait 30 à 35 tonnes de fourrage, et emploie pendant six semaines de l'été 2 journaliers à 1 dollar et la nourriture; mais il faut que ce soient de vigoureux travailleurs.

Après ces renseignements sur l'état de l'émigration belge, je crois utile de dire quelque chose d'un fait qui est de nature à se faire sentir sur l'émigration en général, c'est l'apparition du parti des Know-Nothing, qui commence à avoir du retentissement en Europe. Ses mots d'ordre font opposition à l'émigration étrangère et au catholicisme romain.

Il est évident que l'agitation suscitée par ce parti a exercé une certaine influence sur le chiffre si subitement baissé de l'émigration européenne qui, cette année, est à peine la moitié de ce qu'elle a été l'année passée; il est vraisemblable que l'effet produit aura été d repousse les meilleurs éléments de l'émigration, sans empêcher la classe, qui ne se soucie pas des droits politiques, d'affluer comme par le passé; en sorte que l'Europe n'aura fait que gagner, tandis que l'Union n'aura fait que perdre à cette croisade. ;Mais c'est un point de vue dans lequel je ne veux pas m'engager, et pour m'en tenir au fond de la question, je dirai qu'il n'y a pas là de quoi effrayer et arrêter les Européens pour qui l'émigration présente d'ailleurs des chances de réussite en ce pays.

En terminant ce rapport, je ne crois pas avoir besoin d'ajouter que mes indications me paraissent présenter les garanties d'exactitude qu'on peut demander à un travail officiel dans la position où je me trouve et surtout qu'elles sont au-dessus du soupçon de toute suggestion ou de toute influence d'intérêts étrangers à celui  de mes devoirs envers le gouvernement et le public.