François Gauthier dit St-Germain 1691 - 1765 François, le cinquième enfant de Germain Gauthier dit St-Germain et Jeanne Beauchamp vit le jour à Boucherville le 14janvier 1691 . Il eut pour parrain Louis Ménard dit Lafontaine et pour marraine Jeanne Têtard, femme de François Leberqui vingt-huit ans plus tôt avait tenu sa mère elle-même sur les fonds baptismaux. Son enfance se passa tout entière à la Côte St-Joseph, le deuxième rang des habitants de la seigneurie de Pierre Boucher, dont le nom, depuis longtempsa changé pour celui de Rang-du-Lac, a récemment fait place à celui de Boulevard Général Vanier. Les belles terres qui s'y échelonnaient jadis face au petit lac et à sa coulée, achèvent de mourir, mutilées, abandonnée… « urbanisées ». Comment y entrevoir aujourd'hui, à travers le temps et les changements survenus ce qu'était à la fin du 17e siècle ce beau coin de pays, tout neuf, berceau de notre famille? Francois ne fréquenta jamais l'école; il déclare habituellement, dans ses contrats, ne savoir écrire ni signer. Cependant, il l'a fait à trois ou quatre reprises, mais il est évident, par ces rares spécimens, qu'il avait appris à n'esquisser, tant bien que mal, que les quelques lettres qu'il fallait pour signifier son nom. Lorsqu'en 1712, Germain Gauthier, devenu veuf, décida d'affermer sa terre et de se retirer au village de Boucherville, François avait vingt-et-un ans. Ses deux frères aînés, Jean et Pierre, s'étaient mariés, le premier en 1708 et le second en 1787, il avait été jusque-là le bras droit de son père. Mais en se mettant à ses rentes, celui-ci avait loué pour trois ans à Denis Baron sa terre de la Côte St-Joseph (gr. Tailhandier 1-10-1712). François dut, comme c'étaitcourant alors s'engager soit chez ce fermier, ou ce qui est plus probable, il se fit, dès le printemps suivant, « voyageur aux Pays d'En Haut ». Bien qu'il n'ait signé aucun contrat à cet effet avant 1716, il est certain qu'il s`y rendit au cours des années précédentes comme le révèle un acte daté du 20 février 1715 par lequel, Pierre Gauthier, son frère : « a reconnu que Pierre Richard lui a rendu bon et fidèle compte de soixante-douze livres de castor gras en robes et de cinquante-trois livres de castor sec (b) …le tout appartenant à François Gauthier son frère, de présent aux Outaouaiset auquel Sr Pierre Gauthier le castor était adressé pour en faire disposition…» (M. Lepailleur, No 1352). Il est évident que notre homme passait cet hiver-là, (1715) à faire la traite à Michillimakinac où il avait dû monter au printemps de 1714 au plus tard. De retour à Montréal au cours de l'été de 1715, il allait repartir le printemps suivant pour le pays de la fourrure, après avoir, cette fois, signé un contrat d'engagement, le seul que nous ayons d'un des fils de Germain Gauthier. C'estpour cette raison qu'il sera intéressant d'en trouver ici la teneur : « Pardevant…furent présents François Gaultier dit St-Germain demeurant à la Longue Pointe, en cette Isle et Sr Pierre Biron, étant en cette ville, lesquels ont convenu avoir fait le marché qui suit, scavoir que ledit Gaultier promet et s'oblige à aller à Missillimakinac pour ledit Sr Biron, d'y conduire un canot de marchandises desquelles il promet d'avoir soin du mieux qu'il lui sera possible, vendre et traiter lesdites marchandises au plus grand avantage qu'il pourra trouver et généralement faire le plus avantageusement que faire se pourra le profit du Sr Biron et descendre dans la présente année le provenu de ses marchandises et autres effets que led. Sr Biron à aud. Païs, qu'il aura soin du mieux qu'il lui sera possible et de livrer les susdit effets et provenu de ses marchandises ès mains dudt Sr Biron en cette ville à son retour, et led. Sr Biron promet et s'oblige de nourrir à ses dépens led. Gaultier ainsi qu'il est accoutumé defaire parmi les voyageurs et outre cas lui bailler et payer la somme de trois cent livres en castor au prix du Bureau et cent livres en pelleteries sur le pied que les marchands les prendront pour équipement qui lui seront payés à son retour en cette ville, et au cas que led. Gaultier fût absolument obligé de rester audit lieu sans pouvoir descendre, led. Sr Biron promet lui donner deux cent livres en castor d'augmentation sur le même pied que dit est. Sera loisible aud. Gaultier de porter dans le canot cent livres pesant de farine et six pot d'eau-de-vie et descendre dans le canot un paquet de pelleteries le tout sans payer aucun port. Fait et passé aud. Ville-Marie, maison dud. Sr Biron, l'an mil sept centseize, le vingt-neuf avril, après-midi en présence du Sr Louis Lefebvre du Choquet et Pierre Trottier, fils, témoins demeurant aud. Ville-Marie soussignés avec lesd Pierre Biron et notaire. Ledit Gaultier déclare ne savoir escrire ni signer, de ce enquis, après lecture faite selon l'ordonnance » (J.B. Adhémar, 29-4-1716). Michillimakinac où François Gauthier s'engageait ainsi à aller désignait jadis la mission, le poste de traite, l'île et le détroit qui séparaient le lac Huron du lac Michigan. C'était, avec le fort Pontchartrain (Détroit) à plus decent lieus au sud-est, l'un des deux points majeurs du réseau du commerce des fourrures en Nouvelle-France au XVIIIe siècle. De La Salle y avait établi un magasin en vue de l'échange des pelleteries. En 1683, la place devint le siège d'une garnison permanente. Au temps des voyages de François Gauthier, c'était un gros bourg formé de trois villages : le fort des Français avec soixante maisons, le village des Hurons et celui des Outaouais dont les cabanes abritaient quelques sept cent âmes des deux nations. C'était un long et dur voyage de quinze cents milles que d'y conduire un canot chargé de marchandises et d'en ramener un chargé aussi lourdement de peaux de castor. Le départ sa faisait non de Montréal mais de Lachine d'où, en une première et courte étape on atteignait l'Isle-aux-Tourtes à la sortie du lac des deux-Montagnes. C'est là que l'on campait le premier soir et d'où, le lendemain matin, on entreprenait la montée de la rivière des Outaouais sur une distance d'environ cent-vingt milles jusqu'aux rapides des Galops à l'embranchement de la rivière Matawan. Par celle-ci et après quatre portages on arrivait au lac Nipissing que l'on traversait en direction de l'ouest; puis, après un portage d'unedouzaine de milles on rejoignait la Rivière des Français par laquelle on débouchait à l'extrémité orientale du lac Huron. On empruntait alors le chenal nord de celui-ci sur un parcours de deux cents milles environ et l'on arrivait enfin au terme de ce long, périlleux et harassant voyage. Un Jésuite écrivait dans "Relations par lettres d'Amérique", 1709-11710 : « Les voyages de traite sont pour des personnes qui ne s'embarrassent pas de faire cinq ou six cents lieus en canot, l'aviron à la main, de vivre pendant une année ou dix-huit mois de blé d'Inde ou de graisse d'ours et de coucher sous descabanes d'écorce ou de branches ». Le véhicule approprié à pareille entreprise, c'était le « canot de Montréal » ou « canot de maître » qui portait le canot d'écorce des Indiens à la limite de ses possibilités comme « cargo ». Il mesurait ordinairement trente-six pieds de long, parfois quarante, et six pieds de large. Cette embarcation, dont les matériaux de fabrication ne comportaient pas une seule once de métal, transportait le poids étonnant de trois tonnes de charge utile, sans compter les membresde l'équipage de huit ou dix hommes et leurs effets personnels, soit un poids total de quatre tonnes. Le « canot de maître », monté par des hommes adroits et vigoureux était de taille à affronter les rapides et les vagues de l'Outaouais, celle surtout des Grands Lacs.(1) Ces notes, toutes fragmentées et incomplètes qu'elles soient, m'ont paru utiles pour donner au lecteur un aperçu de ce qu'ont bien pu être ces voyages de François Gauthier et de quelle trempe il fallait qu`il fût… MARIAGE Comme beaucoup de fils d`habitants de cette époque, François Gauthier s`était occasionnellement fait « voyageur » pour gagner ainsi de quoi s'établir et se marier. Il ne devait pas tarder à le faire. Il avait vingt-sept ans, lorsqu'il épousa à Montréal, le 24 octobre 1718, Marie Magdeleine Tessier petite-fille d'Urbain Tessier et cousine de Marie-Anne Tessier, femme de Pierre Gauthier, son frère. Le contrat de mariage avait été passé la veille en présence de nombreux parents et amis parmi lesquels on remarquait Germain Gauthier qui avait fait le voyage de Boucherville à Montréal pour la circonstance ainsi que la plupart des frères et des s¶urs du marié. La famille Tessier était aussi très bien représentée. Il y avait d'abord Sr Paul Tessier et dame Magdeleine Cloutier, père et mère de la future épouse, dame Anne Lemire, sa tante dans la maison de qui le contrat était signé, M. Antoine de Rupalley, Sr de Beauchesne et Nicolas Gervaise, ses cousins. Selon la coutume, les futurs époux convenaient d'être en communauté de bien, que le douaire de l'épouse serait de 1000 livres et le préciput âegal et réciproque. Chacun des futurs conjoints apportait « ses hardes, habits, linge, meubles et ustensiles de ménage sans plus ample description, le tout montant chacun à la somme de 500 livres suivant la juste estimation qui en a étéfaite ». Magdeleine Tessier apportait 500 livres en argent venant de son don à elle fait par ses père et mère, le tout pour entrer dans la communauté. D'autre part, le Sr Pierre Gauthier dit St-Germain et dame Marie Anne Tessier, son épouse, « en considération du futur mariage promettaient aux nouveaux époux la préférence et privilège sur leur part afférente dans la succession future du Sr Germain Gauthier, leur père. » (gr. Lepailleur, 23-10-1718) à LA CÔTE DE ST-JOSEPH Au temps de son mariage, François Gauthier, avait pris charge, à titre de fermier, de la terre paternelle. L'acte de baptême de l'un de ses neveux, Eustache Botquin dont Magdeleine Tessier fut la marraine le 1 janvier 1719 dit explicitement qu'il « était fermier à Boucherville » et des actes subséquents confirment cette affirmation. Cela d'ailleurs s'inscrivait dans les intentions paternelles et dans la logique des choses. Lorsqu'il s`était retiré au village en 1712, Germain avait loué sa terre à un étranger et il avait fait de même en 1715 et en 1716, parce que François à qui il revenait de lui succéder n'était pas prêt à s'établir. Mais, en cet automne de 1718, c'était chose faite et lorsque, aumois de mai de l'année suivante, Germain Gauthier s'éteignait et qu'il fallut procéder au partage de sa succession, ses enfants, alors au nombre de huit, ne se partagèrent pas la belle terre de la Côte St-Joseph, mais François continuade la faire valoir à demi-profit pour ses co-héritiers jusqu'à la St-Martin. à cette date, Jean, son aîné, en son nom et au nom de ses frères et s¶urs mineurs, Jacques, Joseph, et Agnès, et du consentement de Denise, de Marie-Françoise et de Pierre, « a cédé et baillé à titre de métairie à demi-profit, pour trois ans, à François Gauthier, son frère, les terres vieilles et la métairie desdits Gauthier, majeurs et mineurs située à la Côte St-Joseph, à Boucherville…le premierles ayant ci-devant fait valoir aud. Titre de métayer. » Ce n'était là qu'un arrangement provisoire, une étape vers une solution qui ferait l'affaire de tous et éviterait le morcellement du « bien paternel ». Cette solution d'ailleurs avait été amorcée un mois auparavant, le 4 octobre 1719,lorsque Pierre Botquin et Marie Gauthier, sa femme, avaient cédé à François « tous leurs droits sur la succession de leurs père et mère à l'exception de ceux qu'ils avaient sur l'emplacement et maison du village de Boucherville, pour lasomme de huit cents livres en cartes simples, faisant de France celle de 300 livres » (gr. Lepailleur, No 3312). François ajoutait donc à sa part celle de sa s¶ur et il devenait ainsi propriétaire d'un quart de la terre de la Côte St-Joseph. Il devait dans la suite, le 12 février 1720, acheter les droits successoraux de Pierre (gr. Tailhandier, No 803), et le 16 juillet 1722 ceux de Jacques (gr. Tailhandier, No 963). Ces transactions lui assuraient la propriété d'une moitié de la terre paternelle, la moitié du côté du sud-ouest, de 2 arpents de front sur 25 de profondeur à quoi il faut ajouter la pointe appelée l'Isle à Picard d'une superficie de 10 arpents. L'autre moitié ira à son beau-frère Jean-Baptiste Pinard, mari d'Agnès Gauthier à qui les trois autres héritiers, Denise, Jean et Joseph céderont leur part dans les années qui suivront. Cependant, jusqu'en 1730, François continua de mettre en valeur à titre de métayer cette moitié de la terre paternelle. Enraciné dans son milieu natal, François Gauthier ne le quittera plus. Il y cultivera, sa vie durant, la concession que son père avait eue de Pierre Boucher qu'il avait défrichée et léguée à ses enfants comme principal et presque unique héritage. Il y vivra honorablement, dans une modeste aisance jusqu'à la fin de sa vie. à l'instar de son aîné Jean et encore moins que ce dernier, il ne sera pas comme Pierre, un brasseur d'affaires, et l'on trouve relativement peu dedocuments où il a figuré comme partie contractante. Cependant, les archives ne sont pas tout à fait muettes à son égard. C'est ainsi qu'on y relève qu'il obtint en 1724 du Sr René Gaultier de Varennes « à titre de cens et rentes seigneuriales, une concession de bois debout de 2 arpents de front sur 30 de profondeur, située au 4e rang de la seigneurie de Varennes » (gr. Tailhandier, 22-8-1724). Quelques années plus tard, il est fait mention de lui et de sa femme dans le règlement de la succession de ses beaux-parents. Ceux-ci avaient résidé plusieurs années à la Longue-Pointe dont ils avaient été de notables « habitants ». L'Aveu et dénombrement de 1731, dit que : « la veuve et les héritiers de Paul Tessier {y} possèdent quarante arpents moins une perche de front en élargissant au bout de quinze arpents à cinq arpents sur quatre-vingts arpents de profondeur chargées de sept livres deux sols huit minots et cinq huitième de minot de bled de cens et rentes, lesquels ont deux maisons, deux granges, deux étables et quatre-vingt-six arpents de terre labourable et douze arpents de prairie ». Paul Tessier, le beau-père de François Gauthier, était décédé le 26 avril 1730 et ses enfants, au nombre de six héritaient de ses biens. Mais, comme leur mère vivait encore et qu'elle désirait se retirer pour ses vieux jours,…elle avait soixant neuf ans…elle les réunit chez elle, à la Longue-Pointe, où ils prirent connaissance des biens de la communauté qui avait été entre elle et leur défunt père. Étant tous majeurs et désirant éviter des frais, ils se les partagèrent entre eux également, à la réserve toutefois des immeubles, et ce, du consentement de leur mère. En outre, en considération du fait qu'il avait été avantagé par ses parents à son mariage, (Tailhandier, 18-4-1728), Paul Tessier, son unique fils, s'obligeait de fournir à sa mère une pension viagère, qui était « de la nourrir à son pot-au-feu ordinaire, la loger, chauffer et entretenir de hardes, linge, et autres choses à son usage suivant sa condition ». En retour Magdeleine Cloutier cédait et abandonnait à ses filles et à leur maris Paul Baudreau, Jacques Moquin, Toussaint Rebours, François et Jacques Gauthier, tous les biens meubles et immeubles dépendant de la communauté avec son défunt mari. Paul Tessier s'enlevant de la donation qui lui avait été faite à son mariage, renonçait à tous ses droits à la succession échue de son feu père et à celle à échoir de sa mère, et les autres enfants renonçaient à leurs droits sur les biens-fonds données à leur frère. Quant aux immeubles, il était convenu que le partage en serait fait « quand bon leur semblerait ». Enfin, il fut convenu entre tous les héritiers qu'ils se chargeaient du coût des funérailles de leur mère et qu'ils feraient dire pour le repos de son âme cinquante messes de requiem et autant pourle défunt Paul Tessier, leur père…Et, la vie reprenant ses droits, les dits héritiers, à la réserve de Paul, promettaient de « fournir à leur mère, chacun, quatre pots de vin ou six livres en argent à leur choix…» (J.B. Adhémar, 5-10-1731). Par la même occasion, mais en un autre contrat, François Gauthier et sa femme, de concert avec Jacques Moquin son beau-frère mari d'Agnès Tessier, cédaient à Magdeleine Cloutier la jouissance, sa vie durant, de leur part des biens-fondsdépendant de sa communauté avec le défunt Paul Tessier (gr. Adhémar, No 5304). Si le partage de la succession de Paul Tessier et de sa femme Magdeleine Cloutier donna lieu à ce qu'il semble, à aucune difficulté ni mésentente entre les héritiers, il paraît y avoir eu certaine accrochage au sujet de celle d'Agnès Tessier, femme de Jacques Moquin et belle-s¶ur de François et Jacques Gauthier. Par la force des choses, ceux-ci furent mêlés à cette affaire dont le résumé, pour ce motif, trouve ici sa place. Agnès Tessier, femme de Jacques Moquin, marchand bourgeois de Montréal était décédée sans enfants le 8 mars 1738 après avoir, par testament fait le 6 mars de la même année, institué Madeleine Cloutier sa légataire universelle. Ainsi, revenait-il à celle-ci, non seulement les droits de la défunte à la succession de son père, mais encore, la moitié des biens de sa communauté avec le Sieur Moquin. Or ces biens, selon l'inventaire et l'estimation qui en avait été faits, n'étaient pas négligeables, loin de là. La valeur des biens meubles s'élevait à 1771 livres, celle des marchandises trouvée dans le magasin, se chiffrait à 1893 livres, tandis qu'il y avait en espèces et en billets recevables 8121 livres. Les immeubles pour leur part, consistaient en deux maisons situées toutes deux rue St-Paul , l'une où logeait M de Beaumont, gouverneur de Montréal et l'autre où résidait Jacques Moquin. De plus, celui-ci possédait des terresà Laprairie et à St-Laurent. S'il y avait eu quelque enfant né de son mariage avec la défunte, Jacques Moquin n'eut probablement pas eu de déplaisir à voir la moitié de ses biens leur échoir, d'autant plus qu'il eut continué de les administrer en qualité de tuteur. Mais il faut croire qu'il ne se sentait pas autant de générosité à l`égard de sa belle-mère. C'est ce qui le porta à lui proposer un arrangement qui, à son avis, lui rendait justice sans trop le déposséder lui-même. Les termes de ce marché obtinrent l'agrément de Magdeleine Cloutier puisque le 14 avril 1738, représentée par son fils Paul Tessier et ses gendres : Paul Baudreau, Toussaint Rebours, François et Jacques Gauthier, celle-ci en venait avec Jacques Moquin à l'accord ci-dessous: « celui-ci a cédé et donné en pleine propriété, à dame Magdeleine Cloutier…pour tous ses droits dans la succession et communauté d'Agnès Tessier…un emplacement et une grande maison de pierre dessus construite située rue St-Paul; et en outre, il promet et s'oblige de lui donner la somme de 3000 livres en trois paiements annuels égaux avec une jeune vache laitière livrable à sa demande…Et en retour les Sieurs Tessier, Baudreau, Rebours et Gautier, au nom de leur belle-mère, dame Magdeleine Cloutier, cédaient pareillement audit Jacques Moquin tout ce qui pouvait appartenir à la succession de communauté de défunte Agnès Tessier, sans exception ni réserve…» (gr. De Chèvremont, No 299). L'affaire paraissait donc terminé et comme ne devant pas avoir de suite fâcheuse; mais tel n'était pas le cas. Qui s'avisa de trouver que cet accord frustrait Magdeleine Tessier d'une trop grande part de ce qui lui était échu? On ne sait… Ce qui est certain, c'est qu'il fut annulé par sentence rendue en la juridiction de Montréal le 30 octobre 1739, mais Jacques Moquin ne se tint pas pour battu et il interpella appel de cette sentence auprès du Conseil supérieur de Québec. Or, tandis que l'instance était pendante devant cette cour, Magdeleine Cloutier, que toute cette affaire tracassait et inquiétait, désireuse sans doute de s'en tirer le plus tôt et aux meilleures conditions possibles, par acte passé devant Me Danré de Blanzy le 11 novembre 1739, transportait à ses enfants et gendres « les droits successoraux mobiliers et immobiliers, fruits, profits et revenus pouvant lui appartenir en la succession et communauté de défunte Agnès Tessier, sa fille ». Cet abandon était fait aux conditions pour « les acceptants de payer les cens et rentes seigneuriales dus par les héritages compris au présent transport, d'acquitter leur mère de toutes les dettes de la succession et communauté et même des dépens dommages et intérêts auxquels elle pourrait être condamnée envers le Sr Moquin arrivant la perte de l'instance, et en outre, pour et moyennant la somme de 1000 livres, que son fils Paul, ses gendres Paul Baudreau, Toussaint Rebours, François et Jacques St-Germain (Gautier) s'obligeaient solidairement l'un pour l'autre à lui payer sitôt que ladite instance sera jugée ». Il faut croire que la justice, en ce temps-là, n'était pas plus expéditive qu'elle ne l'est de nos jours. Un an s'était écoulé depuis l'inscription en appel et les choses en étaient toujours au même point lorsque les parties en causedécidèrent de transiger et convinrent de ce qui suit : « En premier lieu, les enfants et gendres de Madeleine Cloutier renonçaient à tous leurs droits et prétentions à la succession et communauté de défunte Agnès Tessier, femme du Sieur Moquin, en quoi que le tout pût consister, sans rienréservé…. En deuxième lieu, en considération de cette cession et transport, le Sr Moquin cédait et délaissait à ses beau-frères et à leurs femmes, l'emplacement et maison situés rue St-Paul, de plus, une terre de 4 arpents de frontsur 20 de profondeur située à St-Lambert sur laquelle il y avait une grange, de plus, une autre terre de 3 arpents de front sur 20 de profondeur située dans la seigneurie de Longueuil, de plus encore, un terrain de 6 perches de front sur20 de profondeur située à la Prairie de la Magdeleine, enfin, il s'engageait à payer aud. Tessier, Baudreau, Rebours et Gauthier, la somme de 3000 livres. En troisième lieu, moyennant ce qui précède, ces derniers convenaient que le procáes qui avait été intenté contre le Sr Moquin demeurait fini et terminé. » (gr. C.G. Pothier, 29-11-1740) Que retirèrent François Gauthier et sa femme de ce litigieux héritage? Bien peu de documents nous en informent. La maison et emplacement de la rue St-Paul furent vendus par licitation au Sieur De La Corne pour 7000 livres. De cette somme, il revint aux époux Gauthier, leur part i.e. un cinquième, soit 1400 livres. C'est ce que nous apprend une quittance qu'ils donnèrent à l'acquéreur en présence de J.B. Adhémar le 6 juillet 1742. De même, des 3000 livres promises par Jacques Moquin aux héritiers de sa femme, ils durent recevoir un cinquième, soit 600 livres. Cependant, de cette somme, plus de la moitié, soit 396 livres, 16 sols, 6 deniers était due par FrançoisGauthier à son beau-frère, Jacques Moquin comme en fait foi une obligation reçue par le notaire Simonnet le 16 septembre 1739. Il lui revenait donc quelque 200 livres. Quant aux deux terres et à l'emplacement cédées aux héritiers Tessier en même temps que la maison de la rue St-Paul, mes recherches ne m'ont pas permis de trouver quand et comment ils furent partagées entre eux. Cependant, un acte passé devant le notaire Antoine Loiseau, le 19 mars 1944 témoigne que Franðcois Gauthier et Magdeleine Tessier vendaient leurs droits « successifs » tant sur une lisière de terre d'un demi arpent de large sur quatre-vingt de profondeur que sur une prairie, de superficie indéterminée, le tout situé à la LonguePointe et leur étant échu par la succession de défunte Agnès Tessier et de feu Paul Tessier, père (A. Loiseau, No 1280). François Gauthier, on ne l'a pas oublié, possédait depuis 1724 une concession dans la seigneurie de Varennes. En 1731, le défrichement, s'il était commencé, était si peu avancé que la terre était encore « en bois debout ». Tout au plus lui avait-elle servie de réserve de bois tant « de chauffage que de service ». Trouvant l'occasion favorable et le prix intéressant, il la céda le 9 novembre 1731 à Mathurin Favreau pour le prix de 150 livres que l'acquéreur s'obligeait à lui payer « aux fêtes de Pâques prochaines » (gr. A. Loiseau, No 112). Les transactions immobilières, si l'on peut appeler ainsi les quelques achats et ventes de terres que pouvait en ce temps-là faire un habitant ne lui rapportaient le plus souvent que des gains minimes. Il arrivait même qu'ils fussent nuls.C'est ce qui arriva dans les cas d'un marché, que de concert avec l'un de ses neveux, François conclut à l'automne de 1732. Ils achetèrent alors de Gilles Rapin, marchand et arpenteur royal de Boucherville, une concession située au 4e rang de cette seigneurie. Cette terre mesurait 4 arpents et 16 pieds de large---les 16 pieds pour le tracé d'un chemin---et 30 arpents de profondeur. Les acquéreurs la payèrent 600 livres. François Gauthier déclarait dans le contrat que les 300 livres qu'il paierait pour sa part…« seront pris sur l'argent qu'il doit recevoir sur les biens de Magdeleine Tessier, sa femme! » (A. Loiseau, 17-11-1732) De cette somme de six cent livres, le vendeur en transportait trois cent cinquante à titre de créance au Sr Pierre de Lestage, marchand bourgeois de Montréal à qui les deux acquéreurs promettaient de les payer avec les intérêts s'ils tardaient à le faire. L'héritage escompté tarda-t-il à venir? D'autres obligations plus urgentes eurent-elles priorité sur celle-ci? Quoi qu'il en fût, sept années avaient passé et la dette de trois cent cinquante livres s'était accrue de cent-cinq livresd'intérêts. Le Sr de Lestage, en homme d'affaires avisé, jugeant que le temps était venu de se rappeler à leur bon souvenir, fit signer à François et à Pierre Gauthier une obligation de quatre cent cinquante cinq livres couvrant le capital et les intérêts, par laquelle ils s'obligeaient, « solidairement l'un pour l'autre, sans division ni distinction de lui payer cette somme à sa volonté et première demande et au paiement de laquelle ils hypothéquaient tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir » (gr. G. De Chèvremont, 23-3-1739). Il arrivait souvent à cette époque que des héritiers, surtout lorsqu'ils étaient nombreux, au lieu de morceler en se le partageant le patrimoine familial, vendissent leur part à l'un ou à l'autre d'entre eux qui le reconstituait ainsi sous sa propriété, en tout ou en partie. C'est ce qui arriva dans le cas des Tessier. En effet, d'accord avec sa femme, François Gauthier vendit pour 850 livres à Paul Tessier, son beau-frère les droits successoraux qui lui revenaient surune concession située à la Longue Pointe et sur un emplacement sis rue St-Jacques à Montréal. Ces droits consistaient en une cinquième partie d'une terre de 3 arpents de front et dont la profondeur s`étendait depuis la rive du St-Laurent au Côteau de la Grande Prairie, ainsi qu'en un cinquième de l'emplacement de la rue St-Jacques (gr. A. Loiseau, 10-1-1733). Ce contrat porte la signature de François Gauthier et celle de son frère Joseph qui agissait comme témoin. Ce n'est qu'en 1742, dix ans plus tard que les vendeurs donnèrent à Paul Tessier quittance finale de la somme des 850 livres. La terre de François Gauthier ne mesurait guère plus de 60 arpents. Comme elle était presque toute en valeur, c'était suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille. Cependant, l'occasion s'était présentée d'y ajouter quelques arpents, il acheta pour le prix de 80 livres, d'André Maillot et de sa femme, « un morceau de terre tenant par devant au bord du lac, et en profondeur à sa terre, ledit morceau ne sachant pas au juste combien il a d'arpents, et tout en valeur » (gr. Loiseau, 16-4-1734). Cet achat ne pouvait qu'être avantageux; le lopin ainsi acquis joignait le devant de sa terre et le prix en était peu élevé. Toutefois, cette pièce de terre qu'il venait d'acquérir était plus étroit que sa terre. Il eut bientôt l'occasion d'y ajouter ce qui manquait à la largeur de sa devanture en achetant de Marien Huet un autre lopin, lequel « prenait sur le devant au lac et d'autre bout à sa terre et à prendre de front entre les terres de défunt M. Labaume et d'autre côté à celle dudit acquéreur, et ledt morceau de terre presque tout en valeur » (A. Loiseau, 13-12-1741). Un troisième morceau de terre d'une dizaine d'arpents celui-là allait, l'année suivante, s'ajouter à la terre de François Gauthier. On n'aura pas oublié que des cent-dix arpents que mesurait le patrimoine familial, il en avait acquis cinquante et que Jean-Baptiste Pinard avait fait de même pour cinquante autres. Les dix arpents restant formaient une sorte de pointe déterminée par une coulée appelée dans les documents d'alors la « Coulée des trois frères » et ils formaient ainsi à la crue des eaux, une véritable île qu'on nommait l'Île-à-Pinard. En 1740, cette pointe n'était pas encore partagée entre les héritiers St-Germain. Il semble, qu'en vertu soit d'une entente tacite, soit d'acte de vente sous seing privé, les Pinard en fussent alors les possesseurs. Or, par un acte du 9 juillet 1742, Agnès Gauthier agissant en qualité de procuratrice de son mari, alors en voyage aux Pays d'En Haut, « vendait au Sr François Gautier, son fráere, tous ses droits successifs sur l'Île-à-Pinard, située dans la seigneurie de Boucherville, Côte St-Joseph, lad isle toute en valeur et terre labourable » (gr. Loiseau, No 1120). Cette était vente était faite pour le prix de six centcinquante livres. Avec ces trois additions, il disposait d'assez de terre pour en tirer de quoi vivre confortablement. Le minutier du notre Loiseau contient encore quatre ou cinq contrats passées par François Gauthier. Il s'agit de transactions comme celles dont il a été question ci-dessus, c'est-à-dire d'achats et de ventes de propriétés n'impliquantque de petites sommes et ne donnant lieu qu'à de minces profits. Ce fut d'abord en 1744, la vente qu'il fit pour 200 livres à Urbain Baudreau de droits successoraux sur des terres familiales situées à la Longue Pointe et échus à Magdeleine Tessier, sa femme (gr. Loiseau, 19-3-1744). L'année suivante, précisément le 14 janvier 1745, il achetait des héritiers de défunte Hélène Valiquette représentés par François Gareau, un petit emplacement « sans bâtiments ni clôture », situé dans le bourg de Boucherville, rue St-Pierre (aujourd'hui Hippolyte Lafontaine) et joignant d'un côté la rue St-Charles et de l'autre Jacques Arrivée. François Gauthier resta neuf ans propriétaire de ce lopin de terre de 20 pieds par 90, il l'entourera d'un clôture depieux, et il le revendra le 18 avril 1754 à Pierre Arrivée pour le prix de trente livres, « pour laquelle somme l'acquéreur s'obligeait de faire au vendeur le ferrement d'une charrue consistant en un soc, contre et coutereau pesant 26 ou 27 livres, une grande chaîne et sa cheville et une clef, le tout, bon, loyal et marchand » (gr. Loiseau, No 1362 et 2311). Outre sa terre de la Côte St-Joseph où il demeurait, François en possédait une autre située partie au 3e rang et partie au 4e rang de Boucherville qu'il avait fait assez de défrichement « pour semer à la charrue une quinzaine de minotsde tous grains » mais, il n'y avait rien construit. En 1751, il revendait ces 60 arpents de terres dont 45 étaient encore boisés le prix qu'ils lui avaient coûté, c'est-à-dire 300 livres (gr. A. Loiseau, 15-8-1751). On peut présumer que, comme il a été dit plus haut, cette concession lui avait jusque-là servi de terre-à-bois et pourquoi pas de « sucrerie ». S'il s'en défit ainsi qu'il vient d'être rapporté, c'est que vers le même temps, il en obtenait une autre plus grande et située à Ste-Julie. C'est ce qui ressort d'un acte du notaire Loiseau, daté du 5 janvier 1751, où il est dit que : « le Sr Augustin Hébert fondé de pouvoir de Charles Lemoyne, seigneur de Beloeil, a concédé à titre de cens et rentes seigneuriale à François Gautier St-Germain, acceptant preneur une concession jusqu'à sa concession laquelle est de 22 arpents sur 30 de profondeur qui est le Fer-à-Chaval et qu'il a eue par procès verbal de bornage » (A. Loiseau, 5-1-1753). Dans la suite de ce contrat, il est textuellement expliqué que François Gauthier avait bout à bout deux concessions de même largeur, l'une de 30 arpents de profondeur, l'autre de longueur indéterminée. Il les gardera jusqu'à la fin desa vie. Lors du décès de François Gauthier, sa femme Magdeleine Tessier avait soixante-huit ans. De part leur contrat de mariage, une moitié des biens de sa communauté avec son défunt mari lui appartenait, l'autre moitié allant à leur cinq enfants : François, Joseph, Madeleine, Josette et Marie-Françoise, pour être partagée également entre eux. Or, ceux-ci étaient tous majeurs et mariés, et la façon la plus simple et la plus économique de procéder en parcelle conjoncture, c'était une entente à l'amiable entre les héritiers pour le partage des biens meubles et la vente à l'un d'entre eux des droits successoraux des autres. On évitait ainsi des frais d'inventaire et d'encan, mais surtout, le morcellementet la dépréciation du bien paternel. Magdeleine Tessier et ses enfants optèrent pour cette manière de faire rendue possible par la décision que prit la première de se démettre de sa part en faveur des seconds. Ce n'est pas sans émotion qu'on relit, après deux cent ans, l'acte notarié par lequel cette humble femme, « se trouvant dans un âge avancé, caduque et infirme, voulant pour le peu de temps qu'il plaira à la Providence lui accorder, l'employer à l'importante affaire de son salut, reconnaissait avoir quitté, cédé, abandonné, délaissé tousses biens…consistant en sa moitié en la communauté d'elle et du défunt son mari, en meubles, immeubles, animaux, ustensiles d'agriculture, et enfin, tout ce qu'elle a à sa disposition et lui appartenant…à l'exception de son lit garni, d'un petit buffet, trois assiettes, un plat d'argent, une écuelle et une tasse d'étain, un miroir et un petit chandelier…pour en jouir, sa vie durant seulement et après son décès, retournant à ses enfants pour être entre eux partagés en parts égales ». Cet abandon était fait à la condition que ses enfants représentés par leur frère François, lui payent, durant toute sa vie, une rente annuelle de deux cents livres, la moitié en argent, la moitié en grain…et une vache laitière sa viedurant, laquelle, en cas de mort, sera remplacée par les héritiers et nourrie par celui chez qui elle demeurera. Et, poursuit le texte, « les parties voulant partager amicalement les meubles qui leur seront échus de feu François Gauthier et abandonnés par leur mère, après en avoir fait cinq lots égaux ont, d'un plein accord, pris chacun le leur, étant parfaitement contents et satisfait » (Fr. Racicot, 7-6-1766). Pour ce qui est de la terre paternelle, celle de la Côte St-Joseph, deux des héritiers : Jean-Baptiste Lacharité veuf de Madeleine Gauthier et François Sicot époux de Marie-Françoise Gauthier en vendirent leurs droits successoraux à Joseph Gauthier, leur beau-frère, tandis que Barthélemy Levasseur et sa femme Josette Gauthier vendaient les leurs à François. Selon toutes les apparences, c'est Joseph qui demeura sur la terre ancestrale en faisant valoir pendant quelques années du moins la part de son frère. Marie-Magdeleine Tessier vécut encore vingt-deux ans après avoir fait cession de ses biens. Elle s'éteignit le 12 avril 1788 à l'âge de quatre-vingt-deux ans et elle fut inhumée le lendemain dans le cimetière de Boucherville. |
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