Grey Rocks

C'est la chronique d'une mort annoncée

À l'âge vénérable de 103 ans, un peu délaissé par les siens et sans le sou, s'éteint en fin de semaine le centre de ski Gray Rocks. Le pleurent des centaines de skieurs nostalgiques et un peu pris du remords de l'avoir trompé avec la voisine, la montagne de Tremblant. La famille tient à ne pas remercier Bernard Madoff, qui n'est pas tout à fait étranger à la triste fin de cette toute petite montagne à la grande réputation.

Coup fatal porté par Madoff

Bien sûr, Mont-Tremblant a fait mal. Bien sûr, il aurait fallu rénover davantage l'hôtel de Gray Rocks. Mais en bout de piste, le coup fatal porté au centre de ski Gray Rocks aura été porté depuis New York. Par Bernard Madoff. «Je perdais annuellement entre un million et un million et demi avec le centre de ski, mais les pertes que j'encaissais là étaient compensées par les rendements que je faisais avec Madoff. Puis, j'ai tout perdu», explique Phillip Robinson, qui est à la fois propriétaire de Gray Rocks (depuis 1993) et du Mont Blanc. C'est à la fin des années 80 que M. Robinson est entré en contact avec Madoff à New York, par l'entremise d'un ami commun. Séduit par la promesse de rendements mirobolants - et rendements mirobolants il y a eu, pendant des années -, M. Robinson a vu plusieurs membres de sa famille entrer dans le bal et investir à leur tour du côté de Madoff, pour leur plus grande perte. Madoff vient de plaider coupable, et l'ampleur de la fraude qu'il a commise pourrait lui valoir la prison pour le reste de ses jours. À 83 ans, M. Robinson est en mode vente d'actifs. Le domaine de Gray Rocks, au total, fait 500 acres et il est prêt à tout vendre: l'hôtel, le centre de ski, les terrains de golf - qui, jusqu'à nouvel ordre, seront toujours ouverts cet été. Aucune offre n'a encore été déposée, mais M. Robinson est en discussion avec quelques investisseurs, dont un qui envisageait de convertir l'hôtel en maison pour personnes âgées. «Ce qui est à peu près sûr, c'est que le centre de ski ne renaîtra pas. Les aléas de la météo, la compétition de Mont-Tremblant tout proche, ça fait trop.»

Gray Rocks a été la première station de villégiature des Laurentides. C'est là que Lucile Wheeler, première championne olympique canadienne de ski, a fait ses premières descentes. C'est aussi là que les Laurentides ont vu tomber pour la première fois de la neige artificielle.

Jusque-là, le canon à neige, c'était Eldège Matte. Aujourd'hui âgé de 83 ans, M. Matte a travaillé durant 46 ans à Gray Rocks. Il y est arrivé avant le tire-fesses, avant le télésiège, avant la dameuse et avant, donc, les canons à neige.

«Quand il y avait des trous dans les pistes, on prenait un traîneau et de grandes cuvettes et on partait chercher de la neige dans le bois. Plus tard, quand on a eu une motoneige, on allait en chercher en bas, à côté de la patinoire de l'hôtel, qui était régulièrement déneigée. On ramenait tout ça dans la montagne et, avec nos raquettes, on tapait bien la neige pour que rien n'y paraisse.»

À l'inverse, quand la nuit avait laissé de la neige sur le centre, Eldège Matte se levait tôt et partait en raquettes ouvrir les pistes. Avant que le premier client ne s'élance sur la montagne, c'était un vrai tapis blanc, lisse.

Les clients avaient-ils envie, une fois dans la semaine, d'une petite virée au mont Tremblant que M. Matte partait avec eux pour leur préparer cafés et repas, qu'ils prendraient au refuge du sommet de la montagne.

Le marketing? «Ça se résumait, dans le temps, à deux types qui, à l'automne, allaient chercher des clients américains, dans les États de New York et du Vermont», raconte M. Matte.

Pendant trois générations, Gray Rocks a appartenu à la famille Wheeler. «Mon grand-père, qui était Américain, était venu en 1894 comme bûcheron dans les Laurentides. C'était à un bien mauvais moment: à l'époque, toute la région avait été dévastée par de grands incendies», évoque Lucile Wheeler, première médaillée olympique canadienne en ski alpin, en 1956, et deux fois médaillée d'or aux championnats mondiaux de 1958.

Comme la région était bien pourvue en rivières, beaucoup de Montréalais venaient dans le coin pour pêcher. Les Wheeler les accueillaient, leur préparaient des repas, comme ils offraient l'hospitalité à leurs amis américains de passage.

«Des amis de mon grand-père ont alors suggéré à mes grands-parents, qui accueillaient déjà plusieurs pensionnaires, d'ouvrir un hôtel», raconte Biff, le frère de Lucile, aujourd'hui installé en Alberta.

Ces premiers Wheeler ont eu huit enfants, poursuit Biff, «et 27 poêles à bois pour chauffer les bâtisses, l'hiver!».

Au fil des ans, le centre de ski a pris de l'expansion et, avec lui, le concept - aujourd'hui révolu - des semaines de ski qui a fait les belles heures du centre. «C'est fini, le temps où les gens venaient en groupe, en autobus, passer une semaine entière au même hôtel, croit Guy Ouimet, directeur de Gray Rocks. Les skieurs n'ont plus envie d'être captifs d'une formule avec repas inclus. Ils recherchent plutôt le condominium flambant neuf avec cuisinette où on peut faire le petit-déjeuner et préparer les lunchs pour la journée.»

Meilleure école de ski

Raymond Dalbec est l'un de ceux qui ont «trompé» Gray Rocks pour lui préférer la station Mont-Tremblant... tout en regrettant, aujourd'hui, la disparition du premier. «Gray Rocks, c'était l'endroit où on initiait les petits, de génération en génération. La montagne était plus petite et les leçons, excellentes.»

Lucile Wheeler note que de prestigieuses revues américaines ont décerné deux fois à Gray Rocks le titre de meilleure école de ski.

Guy Thibaudeau, chroniqueur de ski, confirme. «Tous les ans, des centaines d'Américains envahissaient Gray Rocks pour parfaire leur technique avec les meilleurs moniteurs en Amérique... et aussi pour faire la fête dans les bars endiablés de la station. Qu'une aussi petite montagne se soit bâti une aussi grande réputation, et bien au-delà de ses frontières, c'est vraiment remarquable.»

Pour Guy Thibaudeau, les Laurentides perdent un «joyau de leur patrimoine de ski». «C'était le dernier centre à fermer au printemps et tous les skieurs convergeaient là en fin de saison. Il y avait toute une ambiance.»

Lucile Wheeler refuse d'attribuer toute la faute à l'immense exploitation de Tremblant. «Si on avait continué de faire une promotion active de Gray Rocks, on n'en serait peut-être pas là.»
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La Presse, le 28 mars 2009

Un incendie criminel détruit Gray Rocks

Le 25 novembre 2014, un peu passé 21h, un incendie s'est déclaré dans le bâtiment, laissant au petit matin qu'une maigre partie de l'hôtel encore debout. Des accélérants ont d'ailleurs été retrouvés sur les lieux et une enquête policière a été ouverte afin de faire la lumière sur cette triste histoire. De plus amples détails seront ajoutés sous peu.


Le Gray Rocks a été bien plus qu’une station de ski, elle a été une institution dans les Laurentides, et ce de 1905 à 2009. Les clients venaient souvent de loin et y restaient une semaine ou plus.

En 1905, George et Lucile Wheeler ont transformé leur maison à St. Jovite en pension ouverte à l’année et qui a rapidement été connue sous le nom de Gray Rocks Inn. On offrait aux clients la possibilité de faire de nombreuses activités, dont la natation, l’équitation, la pêche et la chasse. C’est en 1920 que le ski alpin a débuté sur le Pain de Sucre, une montagne située près de l’auberge. Il faudra cependant attendre 1934 avant que soit installé la première remontée mécanique, un rope-tow.

1938 est une autre date très importante dans l’histoire de Gray Rocks, car c’est l’année de la création de l’école de ski ‘Snow Eagle Ski School’. Cette école de ski a toujours eu une très haute réputation, et c’est une des raisons que la station a eu du succès pendant autant d’années. La majorité des nombreuses épinglettes qui ont été produites l’ont été pour l’école de ski. Les deux premières épinglettes sont mes plus anciennes de cette station, soit avec l’aigle regardant à droite. On peut y lire Gray Rocks Inn, St. Jovite, qui aujourd’hui est annexée à la ville de Tremblant. La dernière épinglette a été achetée à la station la fin de semaine de fermeture, soit celle du 28 et 29 mars 2009.
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Recherche fait par Le P'tit Gars du nord