Ce "Mémoire
sur la ville de Chicago (Illinois), Etats Unis d'Amérique du Nord",
commence par une description physique, le climat et les voies de
communication de la ville de Chicago, l'état de l'instruction publique et
des Églises, et se poursuit par une note et des conseils au
émigrants, seule partie reprise ici.
L' émigration:
Les nations
qui ont le plus fourni d'émigrants à la ville de Chicago sont d'abord
l'Allemagne l'Irlande, la Suède, la Norvège et le Danemark, ensuite le
Canada, l'Ecosse, l'Angleterre puis la Hollande, l'ltalie, la France et la
Belgique. II y a fort peu de Belges mais tous ceux qui exercent des
professions y prospèrent. Généralement les ouvriers habiles, économes
et sobres sont assurés d'y réussir.
On ne
saurait trop recommander à tout émigrant de ne jamais arriver avant la
fin de mars, ni après le mois de septembre, parce qu'avant la première
époque il est difficile de trouver de l'ouvrage, et que de juin à
septembre ils sont exposés en voyage, aux maladies qui règnent
habituellement dans le pays parmi les personnes non acclimatées et enfin,
qu'après le mois d'octobre, l'ouvrage commence à se ralentir, car généralement
vers cette époque, la navigation n'est plus aussi active; se ferme en décembre
et laisse beaucoup de bras inactifs.
L'ouvrier
sans argent, qui arrive ici depuis novembre jusqu'à la fin de mars, ne
doit s'attendre qu'à souffrir, d'abord parce qu'il ne connait pas la
langue, ensuite parce que dans les ateliers, on préfère conserver les
ouvriers connus; tout ouvrier
ou artisan qui arrive en hiver doit avoir des fonds pour pouvoir se loger
et vivre pendant trois ou quatre mois.
Chicago
n'est pas la localité qui convienne aux hommes sans profession; ceux de
cette catégorie, terrassiers ou manoeuvres, n'ont rien à faire ici.
Toutes les lignes de chemin de fer environnant la ville sont achevées, et
celles en construction sont trop éloignées.
L'ouvrage
intérieur présente trop peu de ressources, et il est, généralement
accaparé par les Allemands et les Irlandais, qui, à leur arrivée,
connaissent l'une ou l'autre des deux langues les plus répandues, et se
trouvent parmi leurs compatriotes qui les secourent et leur procurent de
l'ouvrage dans leurs chantiers respectifs
L'émigrant
belge, sans profession, ferait mieux de se diriger comme suit :
Les
Flamands sur Détroit (Michigan) Milwaukee, Green Bay(Wisconsin)
Jefferson-City (Missouri), tous points où ils trouveront un
grand nombre de leurs compatriotes.
Les Wallons
(tout ce qui parle Français), sur Waukesha, Port Washington,
Fond-du-Lac(Wisconsin) Dubuque (Iowa), Léopold, Bedford,
Indianapolis (Indiana), et les environs de Louisville
(Kentucky)
La plus
grande partie des habitants de Léopold et de Bedford viennent des cantons
de Florenville, Neufchâteau, Etalle, Virton et Arlon (Luxembourg).
La classe
des cultivateurs, ceux qui partent de Belgique avec, un certain capital
peuvent en tonte sécurité, se diriger sur tous les points désignés
plus haut, mais ils doivent toujours choisir de préférence les endroits
où ils sont certains de trouver des compatriotes parlant leur langue ;
selon moi, les Luxembourgeois ne doivent choisir d'autres points que ceux
cités plus haut dans l'Indiana. Dans ces localités les terres sont
riches, faciles à mettre en culture, le bois y est abondant.
Tout émigrant
cultivateur pouvant disposer d'un capital de 5,000 à 6,000 fr. peut être
assuré d'y vivre aisément. et de voir ses affaires y prospérer.
Tous les émigrants
qui viennent en Amérique, spécialement dans le but commercial, et qui
peuvent, bien entendu, disposer d un capital, peuvent se fixer dans les
villes du l'Ouest et principalement à Chicago; ces villes leur présentent
beaucoup d'avenir, et ils sont à peu près certains d'y réussir
rapidement Mais ceux-ci comme tous les autres ne doivent pas se faire
d'illusion, car la première année de séjour sera toujours pénible et
difficile pour eux : tant qu'ils ne connaîtront pas la langue, ils ne
pourront rien faire. S'ils ont des enfants de 8 à 12 ans et plus, il sera
prudent de les mettre à l'école dès leur arrivée; après quelques mois
ces enfants pourront comme interprètes leur être d'un grand secours.
Après un
au de séjour, le temps d'épreuve sera passé pour tout émigrant
intelligent et il pourra se tirer d'affaire.
Les
artistes peintres en tableaux où en portraits, les musiciens, les
professeurs de langue, française, surtout, trouveront ici moyen d
utiliser leurs talents dune manière lucrative.
Les
peintres en tableaux ou en
portraits, s'ils ont du talent ne sont pas tenus de connaître aussi bien
la langue que les autres émigrants Leur pinceau aplanira beaucoup de
difficulté. Une carte portant 100 $ placée sur un tableau, sufira pour
faire comprendre à l'Américain qu'on en demande 100 dollars.
Tous les émigrants
en général ne doivent pas oublier que, tant au moment de l'embarquement
que pendant le passage et au débarquement, ils ne doivent pas quitter de
vue leurs malles et bagages; si cette précaution est nécessaire pendant
ces trois époques, elle est encore mille fois plus nécessaire du port de
débarquement au lieu de destination.
Dans les
localités où ils prendront le chemin de fer, ils devront veiller à ce
que, sur chacun de leurs colis, il soit posé ce qu'on nomme un ticket,
espèce de jeton de cuivre, portant un numéro dont le pareil leur est
remis. Aux changements de convoi, ils devront veiller à ce que leurs
bagages les accompagnent. Les émigrants ne doivent pas manquer de bien
veiller à leur argent, tant en mer que dans les trajets en chemin de fer;
ne pas le laisser dans leurs malles, le porter constamment sur eux, ne pas
le faire voir et encore moins en prêter.
S'ils ne
peuvent se procurer, de maisons respectables de Belgique, des lettres de
change à vue sur des maisons de New-York ou des villes de débarquement,
il est préférable pour eux de conserver leur argent. La pièce de 5
francs vaut toujours 96 cents de dollar, tandis que le dollar qu'ils
prendraient à Anvers à 5-20 ou 5-25, ne vaudrait souvent que, 5-15 en
arrivant ici.
Ils devront
se mettre en garde contre le tas d'escrocs qui encombrent
toujours les quais des ports de débarquement, et qui cherchent à
conduire les émigrants dans tel ou tel hôtel, en leur disant qu'ils
n'auront à payer que telle
ou telle somme par jour; tandis que quand ils en viendront au règlement
de compte, le coquin aura disparu, et l'hôtelier, son compère, demandera
ce qu'il désirera. Un point essentiel aussi, c'est que l'émigrant ne
doit s'arrêter dans les villes de débarquement que le temps nécessaire
pour aller du navire à la station du chemin de fer ou au paquebot qui
doit le conduire à sa destination.
Tout émigrant
qui a des fonds à sa disposition doit prendre de préférence les trains
ordinaires et non ceux d'émigrants, car souvent ces derniers mettent de 4
à 8 jours pour venir de New-York ici ; souvent ils sont arrêtés de jour
ou de nuit à des stations intermédiaires, en pleine campagne où l'émigrant
ne trouve d'autre logement que le restaurant de la station où toujours il
sera rançonné.
Tout émigrant,
avant son départ, doit savoir son point d'arrêt, avoir écrit à ses
compatriotes pour leur demander les lieux et logements où ils devront se
rendre à leur débarquement, les lignes qu'ils doivent suivre pour se
rendre à leur destination et suivre ponctuellement les renseignements qui
leur seront donnés.
Les émigrants
qui voudront faire le trajet par steamer feront mieux de s'embarquer au
Havre que de passer par l'Angleterre, à moins toutefois qu'ils n'aient de
l'argent de trop, ou qu'ils ne sachent la langue anglaise.
En faisant
ce travail, mon but a été de faire connaître et de donner une idée de
l'importance commerciale et de l'avenir réservé à cette ville, qui, il
y a 20 ans, n'existait pas et qui aujourd'hui possède une population de
80,000 âmes. L'opinion générale est qu'en 1866 elle aura de 400,000 à
500,000 âmes et n'aura plus rien à ambitionner à New-York et à la
Nouvelle-Orléans. Si ces deux dernières sont les reines, l'une de
l'Atlantique, l'antre du golfe du Mexique, Chicago sera la reine des lacs.
Ce mémoire,
que j'ai taché de rendre aussi complet qu'il m'a été possible, est basé
sur des recherches minutieuses et consciencieuses, sur des documents
fournis par des banquiers, des industriels et des négociants de la ville,
et enfin sur les statistiques publiées par ordre de l'autorité
communale.
S'il peut
procurer de nouveaux débouchés à mon pays, mon but sera atteint, et je
serais heureux d'offrir mon travail au gouvernement.
Ci-joint
deux cartes : une de la ville et une des chemins de fer de l'Etat.
Chicago, le
3 avril 1855.
Le consul,
ADOLPHE
PONCELET
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