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Histoires de Voyageurs et émigrants


Théodore T'Scharner

par Edmond De Bruyn

Bruxelles G. Van Oest et Cie, 1908  

T'SCHARNER, ANTOINE-THÉODORE 

Namur, le 14 février 1826 - Furnes, le 30 octobre 1906

-

Il séjourna aux E.-U. de fin février 1851 à décembre 1853 : San Francisco, Midle Forck, Georgeton (sic), les plaines de l'estuaire du Rio Sacramento, Contracosta (près de deux ans, jusqu'en septembre 1853)

Il revint à San Francisco où il avait déposé chez M. Grisar, consul de Belgique, quelques études et une liasse de papiers de famille. Malheureusement, tout avait péri dans l'incendie du consulat.

Départ de San Francisco par mer vers Panama d'où il regagna la Belgique.

De son séjour en Californie ainsi que de son voyage aller et retour il avait rapporté un recueil de 40 dessins (sépias et aquarelles) datant de juin 1850 à décembre 1853, désigné sous le titre : Souvenirs d'un voyage en Amérique. Ce recueil qui appartenait en dernier lieu à l'artiste-peintre Madame Ida Hynderick-de Smedt, belle-fille de t'Scharner, fut détruit dans sa propriété aux environs d'Ypres pendant la guerre de 1914-1918.

(d'après Antoine De Smet : voyageurs belges )


N'est reprise de cette biographie de Théodore T'Scharner,  que la partie concernant le voyage en Amérique du Nord, ainsi que les 5 dessins qui s'y rapportent.

 

... Dix mois après le départ d'Anvers, le périple s'acheva fin février sur le débarquement à San-Francisco.

C'était une ville toute fraîche, lotissant comme sur un damier ses rues à angle droit, et disposant, comme il le fallait pour l'afflux de tous les las-d'aller de l'Ancien Continent, d'un hôpital et d'une prison, de trois théâtres et d'une chapelle par confession.

Les Chinois industrieux y sévissaient déjà et le premier soin de t'Scharner fut de dessiner cette nouveauté : un céleste en veston souple, à la natte tressée .jusqu'aux genoux, porte sur les épaules un balancier soutenant deux filets.

Mais la compagnie coutumière qu'on fréquentait dans cette nouvelle métropole de l'inconnu, est caractérisée dans un typique crayon d'un intérieur de taverne(février 1851). C'est un instantané de notre peintre, absorbé à une esquisse, tandis qu'un de ses camarades sommeille sur la table et qu'un autre avec défiance joue, sans doute quelques carats, contre un des forbans de la place, cependant que le tavernier au profil jonathanesque se chauffe le dos. C'est un parfait document de moeurs et un portrait de t'Scharner à 25 ans, artiste désinvolte, aventurier romanesque et élégant.

Mais nos conquistadors avaient hâte de s'enfoncer dans la région mystérieuse. Une sépia nous représente une " Halte d'émigrants dans les forêts de la Californie (mars 1851) " . Groupés comme pour l'acte des contrebandiers de Carmen, huit gaillards barbus, coiffés de pétases ou de bérets, en bottes ou en guêtres, le revolver à la ceinture et le fusil entre. les jambes, sont accroupis, assis, ou debout, selon la nécessité de cette mise en scène photographique. t'Scharner, jambe repliée sur un ballot de couvertures serré d'une double courroie et le fusil prêt à l'alerte se donne l'air d'un terrible don José.


C'est en cet appareil qu'on les voit, en mars 1851, dresser leurs tentes à Midle Forck (2 mars 1851), franchir les rapides de l'Eldorado ou se hisser dans les défilés du Camp de la Glace. C'est le chaotique éboulis d'un Tyrol américain sous le fond des cimes argentées de la Sierra Nevada, mais avec des versants hirsutes sous l'escalade des rangées de sequoïas, ces prodigieux sapins de l'Orégon, qui atteignent cent mètres de haut. Déjà on les abattait et une aquarelle de t'Scharner montre des colons en chemise rouge, qui dirigent les troncs à la perche sur les nappes d'eaux et leur font sauter les cascades.

Mais cette prospection pittoresque avait sans doute procuré à notre caravane assez de points de vue et d'émois; le sketchbook contient bien encore le crayon dessiné à Georgeton, d'une tribu d'Indiens sauvages, ce qui fait présumer quelque autre randonnée poussée assez avant, mais l'automne de 1851 semble, de toutes façons, avoir ramené la compagnie vers une zone moins curieuse ou exotique mais sans doute plus habitable.

Redescendus des hauteurs, revenus de l'intérieur, nos explorateurs contournent en octobre 1851 la baie de San Francisco vers le Nord, non sans que t'Scharner se soit laissé émouvoir par la splendeur des couchers de soleil sanguinolents, ou flamboyants comme des brandons, sur les criques où l'ombre des rochers couve une eau violette.

Ce sont ensuite les plaines de l'estuaire du Rio Sacramento qu'ils traversent : de gigantesques arbres tordus et déjetés s'y dispersent avec fantaisie dans la savane où des flaques d'eau dorment près de quelques rocailles égarées. Au long du fleuve un chemin fait évoluer ses méandres et les premières Cordillières Maritimes bordent la perspective avec agrément

C'est dans cette région plaisante que la petite troupe va se fixer. Pendant près de deux ans, elle restera à Contracosta. t'Scharner se distraira à y ébaucher quelques indications de paysages très simples et presque occidentaux. La sinuosité d'un chemin, des lignes de verdure, deux arbres emmêlés et une souche ou un roc au premier plan... Ou ailleurs comme un concert d'arbres autour d'une mare avec des bouquets de roseaux... On dirait quelques études d'après Poussin.

Des fois néanmoins des accessoires précis rappellent qu'on est loin de l'Ile de France ou de la Campagne romaine, mais. bien au bord des placers pailletés. Une vanne, par exemple, barre le ruisseau; et le dessin est daté de Grey, Eagle City. Ou encore une maison lacustre est fixée sur pilotis dans le courant, avec sous elle une roue de moulin à eau sur un arbre de couche qui fait tourner un tambour à courroie ; et l'aquarelle indique: Vue du moulin Suters, Colomba. Ou même c'est la maisonnette carrée, avec sa porte et une seule fenêtre, tapie entre les arbres sur un petit coteau, au bais duquel la rivière paresseuse étale de tournant en tournant ses lagunes troubles de sable précieux, et voilà Contracosta le sanctuaire du pèlerinage de notre émigré.

Le dernier souvenir de cette région représente, par un ciel endiamanté. une veillée assez sinistre autour d'un brasier dans la forêt. Un des figurants, debout dans les étriers peur voir plus loin. et abrité par un tronc d'arbre, épaule sa carabine vers quelque fauve peut-être imaginaire, tandis que ses compagnons ne se soucient même pas de se retourner. Le lavis est daté de septembre 1853 et la veillée est sans doute celle du départ. Mais ceux qui s'en retournent ne sont plus que trois .... t'Scharner dit donc adieu aux plaias de la Nouvelle-Californie et redescend sur San-Francisco.

A son arrivée en cette ville, une mésaventure attendait notre voyageur. Au départ, avant de s'engager dans la campagne infestée de détrousseurs trop impatients, t'Scharner avait déposé chez son ami M. Grisar, le consul de Belgique. quelques études et une liasse de papiers de famille, à son nouveau passage il trouva le consulat en cendres et le dépit anéanti.

Anxieux maintenant du retour le plus rapide, et appréhendant de contourner. comme à l'aller, toute l'Amérique du Sud, t'Scharner et ses amis prirent passage de San Francisco à Panama, traversèrent la moitié de l'isthme puis descendirent la rivière de Chagres. C'était en décembre 1853. Deux aquarelles nous montrent sous le clair de lune un convoi de barques qui dérivent au fil de l'eau, dociles à la seule godille. Le courant bouillonne en sinuosités, à travers la forêt tropicale. Des arbres immémoriaux confondent les essences les plus variées; des lianes pendent comme des effilés ou accrochent des hamacs de verdure de l'un à l'autre tronc. On dirait une illustration pour le célèbre début d'Atala de Chateaubriand. C'est l'Eden du romantisme et heureux le peintre qui a pu conserver ce souvenir derrière les paupières.

Charriée par la rivière jusqu'à son embouchure sur la Mer des Antilles, la caravane s'embarque à Colon et vogue sur Anvers.

Après une absence de bientôt quatre ans, voici que notre Argonaute rapatrié y descend à quai en février 1854.

Souvenirs ! Cette folle équipée, nous la suivons ainsi au jour le jour, en tournant les feuillets sur ces quarante dessins.

Et que pour croquer ces points de vue, notre émigrant ait pu déposer sa carabine ou son pic, cela nous console et nous enchante, à. y voir que certes les poètes et les romanciers de l'exotisme n'avaient pas parlé en vain à cette jeune imagination ; et en outre, que voilà bien le signe d'une vocation de peintre que de ne pas résister au besoin de reproduire un paysage, alors que la vie, le retour et même le lendemain sont incertains.