| Un mariage canadien au dix-septième siècle. En l'an 1687, par devant Maître Etienne Jacob Avant-propos Ce texte écrit en 1920 par Alphonse Gravel, résident de Gravelbourg, Saskatchewan relate l'histoire du mariage de Claude Gravel et de Jeanne Cloutier, petite-fille de Zacharie Cloutier. Voyons quelles traces durables leur union a pu laisserdans notre pays. Que vous soyez Cloutier, Morin, Gravel, Gagnon, ou Rageot, vous êtes tous invités à participer à cette grande fête de famille. Le texte raconte aussi avec élégance le français parlé (l'accent) des gens de ce nouveau pays ainsi que la façon d'écrire presque illisible des notaires de l'époque. Finalement vous découvrirez ce que sont devenus certains des enfantset autres personnages qui étaient présents lors de cette grande cérémonie. Nous sommes au 3 février 1687, jour de grande réjouissance dans la paroisse de Château-Richer. Un jeune homme et une jeune fille issus de familles qui comptent parmi les plus anciennes du Canada s'épouseront demain, et c'est au cours de cette après-midi qu'on procédera à la signature du contrat de mariage. Les services professionnels de Maître Etienne Jacob, notaire seigneurial de la Côte de Beaupré, ont été retenus pour la circonstance. Rendons-nous avec lui à la demeure de la mariée, où nous ferons connaissance avec les deux familles. Nous sommes reçus par Charles Cloutier et sa femme Louise Morin, le maître et la maîtresse de la maison. Intérieur d'une maison canadienne du XVII ième siècle. Le mari a 58 ans. Né à Mortagne, dans le Perche (aujourd'hui dans le département de l'Orne), en 1629, il n'avait que cinq ans lorsque, en 1634, il vint au Canada avec son père etsa mère, Zacharie Cloutier et Xainte Dupont, ses deux frères Zacharie et Jean, et ses deux soeurs. Sa femme, Louise Morin est née au pays; elle n'avait que seize ans lorsqu'il l'épousa à Québec en 1659. Ils ont douze enfants, huit filleset quatre garçons. Ils ont déjà marié trois de leurs filles: Ursule, femme de Nicolas Gamache, seigneur de l'Islet; Marie-Madeleine, mariée à Paul Tessier dit Lavigne; et Marie-Anne, devenue Madame Charles Gariépy. Les garçons sontjeunes: Charles, 12 ans; Jean-Baptiste, 5 ans; Zacharie, 3 ans; Augustin, 1 an. L'ainée des cinq filles non mariées est Jeanne, qui a 18 ans. C'est maintenant son tour, et ce sont ses noces qu'on commence aujourd'hui à célébrer; elle est l'héroïne de la fête. Nous venons de connaître les époux Charles Cloutier et Louise Morin, leurs quatre garçons, leurs trois filles mariées, leurs trois gendres, leurs cinq filles non encore mariées. Nous ne voyons pas leurs petits-enfants, mais nous supposons bien que les trois petits Gamache, les deux petits Tessier et les deux petites Gariépy, tous enfants en bas âge. AUTRES PARENTS A PRESENTER Mais voici d'autres parents que nous n'avions pas encore aperçus: ce sont deux vieillards de 70 et 67 ans respectivement, Zacharie Cloutier et Jean Cloutier, tous deux frères du maître de la maison. Ces trois frères, malgré leurs 53 annâees de vie canadienne, ont conservé l'accent de leur comté natal, du Perche. Leurs parents, qui les avaient emmenés au Canada, sont décédés à Château-Richer il y a quelques années. Zacharie est accompagné de sa femme, Madeleine Aymard, soeur de la femme d'Olivier Le Tardif, personnage important de la colonie (il est le sujet d'une étude très littéraire en même temps que très savante publiée il y a quelques années par Mgr Amédée Gosselin). Nous faisons aussi connaissance avec la femme de Jean, Marie Martin, fille d'Abraham Martin dit l'Ecossais, pilote royal, qui eut l'honneur de léguer son nom au champ de bataille où se rencontrèrent les armées de Wolfe et de Montcalm: les plaines d'Abraham. Zacharie est venu avec son gendre Charles Bélanger et ses deux fils Charles et Pierre; Jean est accompagné de son gendre, Antoine Toupin, et de son fils Jean. On ne nous a encore présenté que des Cloutier, ou des personnes mariées à des Cloutier, ou issues de mariages contractés avec des Cloutier; voyons maintenant si des Morin, c'est-à-dire des représentants de la famille de la maîtresse de la maison, se trouvent ici. DU COTE DE LA MAITRESSE DE LA MAISON... Voici un homme d'environ quarante-cinq ans qui, par les habits qu'il porte, nous paraît être un haut dignitaire ecclésiastique; c'est le chanoine Germain Cloutier, qui "exerce les fonctions curiales" à Sainte-Anne-de-Beaupré. Il est le frère de la maîtresse de la maison. Et ce monsieur un peu plus jeune, en habit de bourgeois, d'apparence digne et pondérée, qui écoute et observe, comme il convient à un juge? C'est le frère cadet du chanoine et de la maîtresse de la maison; il s'appelle Jean-Baptiste Morin de Rochebelle et il est conseiller Supérieur de Québec. Il est accompagné de sa femme, Catherine de Belleau, une Française de Picardie (dont le père est sieur de Cantigny), et de Marie-Anne, leur seul enfant, qui a onze ans, Quel est cet homme un peu solennel, à l'accent normand, qui semble du même âge que le chanoine? Il s'entretient avec Maître Jacob et tous deux discutent les termes du contrat. C'est entendu entre eux: les époux seront communs en biens "suivant la Coutume de Paris par laquelle ladite communauté sera gouvernée, régie, réglée, nonobstant que lors de la dissolution... .. leurs dits biens situés en pays de Coutumes contraintes auxquelles lesdites parties ont dérogé et "renoncent". Il n'y a pas à s'y tromper, c'est Gilles Rageot, notaire royal, greffier du tribunal de la Prévôté de Québec, seigneur de Saint-Luc. Il est ici avec sa femme, Marie-Madeleine Morin, soeur de la maîtresse de la maison, et troisde leurs enfants, les petits Nicolas, Philippe et Charles. Un autre frère de la maîtresse de la maison assiste à la fête; c'est Alphonse Morin, qui habite Saint-Thomas où il est connu sous le nom de Morin-Valcour. A tous ces Cloutier et à leurs parents immédiats se sont joints trois amis de la famille, qui ont signé avec eux le contrat de mariage: Romain de Trépagny et Jean Cauchon, deux Normands sexagénaires, pionniers de la paroisse de Château-Richer, et le notaire royal Vachon, qui est devenu habitant de Beauport depuis une douzaine d'années. Charles Cloutier, le maître de la maison, ainsi que ses deux frères aînés, Zacharie et Jean, sont, tout naturellement, les chefs du groupe Cloutier dans cette réunion de famille. Ils sont en ce moment occupés à présenter leurs hommages au chef de la famille du marié, qui vient d'arriver avec une suite nombreuse de parents. Les Gravel Ce chef est une femme de soixante ans, Marguerite Tavernier, veuve de Massé-Joseph Gravel. Née à Randonnay, au Perche, à cinq lieues de cette ville de Mortagne d'où les Cloutier sont originaires, elle a, elle aussi, un demi-siècle de vie canadienne. Les deux familles se sont connues là-bas et elles ont émigré au Canada vers la même époque. Les trois Cloutier que nous venons de nommer, Zacharie, Jean et Charles, sont venus avec leurs père et mère et leursdeux soeurs; les époux Tavernier ont émigré avec leurs trois filles, Marie, Marguerite et Anne. C'est la cadette, Marguerite, qui cause avec les trois Cloutier en ce moment. Le 1er mai 1644 elle a épousé à Québec, à l'âge de dix-sept ans, Massé-Joseph Gravel, et est ainsi devenue "la première Madame Gravel canadienne". Nous la voyons aujourd'hui en robe de deuil; il y a neuf mois à peine son mari mouraità l'âge de soixante-dix ans dans la paroisse de Château-Richer, dont il était l'un des pionniers et fondateurs. Madame Gravel - gardons-lui ce nom, qu'elle fut la première à porter dans l'Amérique du Nord, - est accompagnée de son fils, Claude Gravel, le héros de la fête, qui va épouser demain Jeanne Cloutier. Claude Gravel aura bientôt vingt-cinq ans. Lui et son frère jumeau Joseph sont les huitième et neuvième enfants nés du marriage Gravel-Tavernier. Ce couple a eu onze enfants, encore tous vivants à l'exception de Pierre, l'aîné de la famille, marié à Madeleine Cloutier, cousine de la mariée, qui est mort jeune laissant un seul enfant, baptisé Augustin, mais que tous appellent Pierre. Le petit Pierre, qui a neuf ans, est ici avec sa mère, maintenant devenue Madame JeanBouchard; ils habitent Saint-Pierre, Ile d'Orléans. Voici les frères et soeurs du marié: Alexis Gravel, devenu l'aîné de la famille depuis la mort de Pierre; Jean Gravel, qui a emmené sa femme Marie Cloutier, cousine de la mariée; Joseph Gravel et Charles Gravel, tous deux encore célibataires; Geneviève Gravel, la plus jeune de la famille, qui ne se prodigue pas et semble, au contraire, s'appliquer à passer inaperçue: elle se prépare depuis quelque temps à entrer aunoviciat des Ursulines. Marguerite Gravel a dû rester aujourd'hui à Sainte-Anne, où elle habite avec son mari Noël Racine; mais sa soeur jumelle, Elizabeth, est venue de Saint-Pierre, Ile d'Orléans, avec son mari, Mathieu Côté. Deux autres soeurs manquent à l'appel, et pour cause: elles sont toutes deux Ursulines, l'une, Madeleine, depuis sept ans, l'autre, Françoise, depuis treize ans. SACHANT TOUS LIRE ET ECRIRE Ouvrons ici une parenthèse pour dire, à la louange du couple Gravel-Tavernier qui vivait au Canada au 17ième siècle, que leurs onze enfants, nés et élevés en ce pays, savaient tous lire et écrire. Nous avons vu tout à l'heure que le couple Cloutier-Morin compte parmi ses hôtes des parents de l'époux et de l'épouse, c'est-à-dire des Cloutier et des Morin; il n'en est pas de même de Madame Gravel, qui n'a pu emmener avec elle de parents de son mari parce que ce dernier fut le seul de sa famille à émigrer au Canada. Son père, Eloi Tavernier et sa mère Marguerite Gagnon sont décédés tous deux à Château-Richer, mais il lui reste outre ses enfants, gendres et petits-enfants, ses deux soeurs Marie et Anne. Anne est mariée à Québec et n'a pas d'enfants; Marie, veuve depuis trente-trois ans de Gilles Bacon, est devenue Hospitalière à Québec sous le nom de Soeur Sainte-Monique. Mais un fils est néen 1650 du mariage de Marie avec Gilles Bacon; c'est Eustache Bacon, qui assiste à la fête avec sa femme, Louise Guimond. Ce couple a deux garçons et trois filles, dont l'une, la petite Jeanne, âgée de deux ans et deux mois joue en ce moment avec le petit Zacharie Cloutier, fils du maître de la maison, âgé de trois ans et demi. Madame Gravel a donc emmené avec elle son neveu Eustache Bacon et la famille de ce dernier; et ce sont là tous ses parents à elle, à l'exception de ses deux vieux oncles maternels, Mathurin Gagnon et Pierre Gagnon. Lorsqu'Eloi Tavernier épousa à La Ventrouse, au Perche, en 1625, Marguerite Gagnon, cette dernière avait trois frères, Mathurin, Jean et Pierre Gagnon, qui résidaient dans cette localité. Ces trois frères Gagnon ont émigré au Canadaavec les Tavernier, et probablement aussi avec leur parent Robert Gagnon, comme eux habitant de La Ventrouse. Jean Gagnon est décédé à Château-Richer il y a dix-sept ans; mais Mathurin et Pierre sont encore pleins de vie, et tous deux ontaccompagné chez les Cloutier leur nièce, Madame Gravel, et leur petit-neveu Claude Gravel. Mathurin Gagnon a 81 ans; il y a quarante ans il a épousé à Québec une Normande, Françoise Boudeau. Les voici tous les deux avec un de leurs fils, qui s'appelle Mathurin, un autre qui s'appelle Pierre, et le plus jeune de la famille, qui porte le nom de Joseph; et il y a aussi leurs deux gendres Jean Picard et Vital Caron. Pierre Gagnon, l'autre oncle survivant de Madame Gravel, a71ans; Il est avec sa femme Vincente des Varieux, une Normande qui l'a conduite à l'autel à Québec en 1642. La mère de cette Normande portait un beau nom; elle s'appelait Marie Chevalier de Saint-Vincent et habitait Aubermail, au pays de Caux. Ces vieux époux sont accompagnés de trois de leurs fils, Jean Gagnon, l'abbé Pierre-Paul Gagnon, et le capitaine Noël Gagnon. Nous avons maintenant au complet la liste des parents du marié qui ont répondu à l'invitation des Cloutier. Mais n'oublions pas les deux amis qui sont venus avec les membres de la famille Gravel. Ce sont le docteur Jean Navers, un Gascon de Tarbes (aujourd'hui dans le département des Hautes-Pyrénées), et François Sauvin, constructeur de navires, un Saintongeais établi à Québec et dont la fille unique, âgée de seize ans, doit épouser prochainement le docteur. GROUPEES A CHATEAU-RICHER Un peuple distinct Les Gagnon, comme les Cloutier, les Tavernier, sont des pionniers de la Nouvelle-France. Toutes ces familles se sont connues dans le vieux comté du Perche. Elles sont maintenant groupées ensemble dans la paroisse de Château-Richer, où elles entretiennent depuis de longues années des relations de bon voisinage. Quand on rencontre ces vieux pionniers on reconnaît vite chez eux les manières, les coutumes, l'accent de leur petit pays natal. Les jeunes, au contraire, tel, par exemple, le héros de cette fête, Claude Gravel, plus souples, plus éveillés, curieux de connaître le pays, se sont mêlés avec les immigrants venus de différentes parties de la France. Ils ont pris contact avec des coutumes, des façonsde vivre, des caractères et des tempéraments qui variaient suivant la province d'origine des nouveaux venus. De ce mélange est né une certaine uniformité. Le Canadien a déjà sa propre personnalité; on s'aperçoit qu'il possède des caractéristiques d'une nation distincte. Un nouveau peuple est né dans l'Amérique du Nord, rempli d'initiative, fort, courageux. La vie au grand air, la chasse, la pêche, le climat rude, la grande beauté d'une nature riche et sauvage, laforêt vierge, des fleuves majestueux, tout cela a exercé de l'influence sur sa formation; la lutte pour la vie dans un pays sauvage, les guerres continuelles avec les colonies anglaises et les Iroquois, ont aussi agi sur son caractère. Ces réflexions sont pleinement confirmées par un coup d'oeil jeté dans la grande salle où sont réunis les Cloutier et leurs hôtes; on y aperçoit le déclin de la vieille race et l'aurore de la nouvelle. Les Français deviennent peu à peu Canadiens et nous avons en ce moment devant nous le spectacle de leur évolution. Il n'y a pas jusqu'au langage qui n'accuse fortement la différence qui existe entre la vieille génération et la nouvelle. Les enfants du Perche ont l'accent traînard, un peu dur, assez semblable à celui, du pays voisin de Normandie; lesCanadiens ont un accent qui leur est personnel, résultant d'une fusion de tous les accents qu'ont emportés avec eux les colons de France, mais où, cependant, le caractère normand prédomine. Il n'y a d'ailleurs chez eux aucune trace de patois. Les "patoisants" français, beaucoup plus nombreux alors qu'aujourd'hui, n'ont pas fait souche au Canada; la nécessité d'adopter une langue commune s'imposa tout de suite. La première génération née au Canada ne sut jamais le patois; et même ceux qui y sont venus jeunes oublièrent vite un langage que très peu de personnes autour d'eux pouvaient parler ou comprendre. A la signature du contrat chez les Cloutier c'est le français que l'on parle, avec cet accent canadien qui vient d'être créé et qui rappelle celui de Normandie. Mais voici que Maître Jacob vient d'imposer silence à l'assemblée. Aussitôt Charles Cloutier, sa femme et leur fille Jeanne, et Madame Gravel et son fils Claude, viennent s'asseoir devant la table où le notaire s'est installé avec ses plumes et son papier. D'une voix monotone, chantante et solennelle à la fois, Maître Jacob commence la lecture du contrat de mariage qu'il a préparé. Les notaires de ce temps-là ont le style diffus. Souvent ils entassent dans trois ou quatre lignes une quantité de mots longs et pesants à la seule fin d'exprimer une idée des plus simples qui n'a certainement pas besoin de tout cet attirail. Il est difficile parfois de saisir le sens de la phrase; l'idée se perd dans les râepétitions et les longueurs. UNE PIECE RUDE A DECHIFFRER L'acte que Maître Jacob nous lit n'est pas d'une clarté remarquable, mais nous lui pardonnons ce petit défaut afin de mieux lui reprocher le caractère plutôt primitif de son écriture. Cette écriture est à peu près illisible pour toutle monde, excepté pour le tabellion lui-même. En effet, son regard se promène rapidement sur ces hiéroglyphes, qu'il déchiffre avec facilité; mais il est le seul qui puisse accomplir un pareil miracle. Oh! notaire Etienne Jacob, et vous tous, tabellions de la Nouvelle-France, pourquoi n'avez-vous pas pris dans votre jeunesse des leçons de calligraphie? Si, au moment où vous couvriez vos paperasses de signes mystérieux, ressemblant à des dessins fantastiques plutôt qu'aux lettres de l'alphabet, vous aviez pu soulever le voile de l'avenir et apercevoir, à deux siècles et demi de distance, vos descendants, ou les descendants de vos clients, penchés sur vos actes notariés, peinant et suant pendant des heures et des jours dans l'espoir, souvent déçu, de pénétrer le sens d'une phrase ou de reconstituer les lettres d'un nom écrites par vous d'une main barbare, peut-être auriez-vous ressenti une certaine émotion. J'aime à croire que le spectacle de ces chercheurs du vingtième siècle, de ces curieux des choses du passé, se donnant tant de peine pour faire revivre la vie d'autrefois, aurait touché vos coeurs, et que vous auriez apporté à votre travail un peu plus d'attention. Cependant, tels qu'ils sont, vos actes sont une mine de renseignements précieux. Dans votre admirable prolixité vous nous donnez des détails qui nous en disent long sur la vie de ce temps-là et nous aident à la reconstituer. Grâceáa vous la petite histoire de cette époque lointaine peut s'écrire, et de cela nous vous sommes infiniment reconnaissants. Nous plaignons nos concitoyens anglais et nos amis les Américains, qui ne connurent pas cette magnifique institution du notariat et qui, de ce fait, restent ignorants d'une foule de choses concernant leur passé. La lecture du contrat de mariage eut le don de satisfaire les plus curieux parmi les assistants. C'est ainsi qu'ils apprirent que Charles Cloutier, malgré les charges que lui imposait le soin d'une famille de douze enfants, avait trouvé lemoyen de constituer une dot de trois cents livres à sa fille. Une fois les signatures duement apposées à l'acte de Maître Jacob, le souper ne se fit pas longtemps attendre. Quel dommage que la photographie n'existât pas à cette époque, et que les instruments qui enregistrent les soins fussent inconnus de nos aïeux! Nous saurions aujourd'hui quels costumes portaient nos aïeux et nos aïeules, quels soucis les préoccupaient, quels étaient les objets de leurs conversations; nous connaîtrions leur façon de s'exprimer, leur accent,leur démarche, leurs danses et leurs chansons. La chronique du temps est muette là-dessus, mais nous pouvons bien supposer que le banquet chez les Cloutier fut marqué par une franche gaîeté canadienne, qu'on y but de joyeuses santés, qu'il y eut, le soir, des chansons et des danses,et que la fête se prolongea fort tard dans la nuit. Le lendemain matin la bénédiction nuptiale fut donnée aux époux dans l'église de Château-Richer par Messire Charles-Amador Martin, prêtre exerçant les fonctions curiales dans cetteparoisse. Que réserve l'avenir à ces jeunes mariés? Ils sont heureux aujourd'hui; ils ont la jeunesse et la santé. La générosité de leurs parents leur a donné une certaine aisance. Ils sont établis dans leur paroisse natale, que leurs famillesont contribué à fonder et à développer; ils vont vivre dans une atmosphère sympathique, entourés de parents et d'amis. Ils habitent la Côte de Beaupré, contrée aussi fertile que pittoresque. Il y a plus encore; les forêts et les rivières de Nouvelle-France recèlent des trésors accumulés par les siècles. Il y a place dans ce pays pour toutes les énergies et toutes les ambitions. Peu de personnes restent insensibles au charme particulier des pays neufs, où les horizons sont vastes, où la vie est libre, dégagée, en partie du moins, des contraintes et des préjugés propres aux vieilles civilisations. L'avenir sourit à Claude Gravel et à Jeanne Cloutier, qui débutent dans la vie conjugale sous lesplus heureux auspices. UNE BELLE ET FORTE LIGNEE Laissons ce jeune couple à son bonheur et voyons quelles traces durables leur union a pu laisser dans notre pays. Quand Madame Gravel et Charles Cloutier marièrent leurs enfants le 4 février 1687, ils ne prévoyaient sans doute pas qu'un âevêque compterait parmi la descendance de ces deux jeunes gens. En effet, un siècle et demi après ce mariage, le 13 octobre 1838, Elphège Gravel naquit à Saint-Antoine-sur-Richelieu; il devint 46 ans plus tard le premier évêque de Nicolet. Sa Grandeur Mgr Elphège Gravel descendait en ligne directe de Claude Gravel et de Jeanne Cloutier. Madame Gravel et Charles Cloutier ne se doutaient pas non plus, en voyant jouer ensemble au cours de la fête dont nous parlions tout à l'heure, la petite-nièce de Madame Gravel, Jeanne Bacon, et le jeune fils de Charles Cloutier, Zacharie,que ces deux enfants seraient un jour unis par les liens du mariage et qu'un évêque compterait parmi leur descendance. Sa Grandeur Mgr F.-X. Cloutier, le vénérable évêque des Trois-Rivières, descend en ligne directe de Zacharie Cloutier et de Jeanne Bacon. Le lendemain de la cérémonie de la signature du contrat, Pierre Gagnon assistait au mariage de son petit neveu Claude Gravel et fut son témoin dans cette occasion solennelle. Madame Gravel avait réservé cet honneur à l'un de ces Gagnon,ses parents et compatriotes du vieux comté du Perche. Leur nom, tout comme celui des Gravel et des Cloutier, est entré dans l'histoire de l'épiscopat canadien-français, puisque le diocèse de Sherbrooke se glorifie aujourd'hui d'avoir àsa tête Sa Grandeur Mgr A.-O. Gagnon. Voyons maintenant quelles traces ont laissées dans la petite histoire canadienne les autres personnages qui sont mentionnés au cours de ce récit véridique. Des trois petits Rageot de Saint-Luc, Nicolas succéda à son père dans les charges de notaire royal et greffier de la Prévôté, et Philippe et Charles devinrent prêtres. Alphonse Morin, frère de Madame Charles Cloutier, est l'ancêtre des Morin-Valcour. Les Trépanier descendent de Romain de Trépagny, et le notaireroyal Paul Vachon est le fondateur de la famille de ce nom. Tous les Cloutier canadiens descendent des trois frères Zacharie, Jean et Charles. Eustache Bacon et le docteur Navers ont aussi fondé des familles canadiennes. Des six frères Gravel, Alexis est mort sans enfants et Jean n'a laissé que des filles, de sorte que Pierre, Claude, Joseph et Charles sont les ancêtres de tousles Gravel du Canada. De Pierre descend M. Ludger Gravel, de Montréal. Dans la postérité de Claude sont inclus feu Mgr Gravel, premier évêque de Nicolet, feu M. le grand vicaire J.-Alphonge Gravel, de Saint-Hyacinthe, feu M. le curé Isidore Gravel, de Laprairie, feu M. l'abbé Lous-Pierre Gravel, fondateur de Gravelbourg, Sask., M. le curé Elisée Gravel, de Warwick, P.Q., M. le curé Albert Gravel, de Mazenod, Sask., M. le vicaire Henri Gravel, de Saint-Jérôme de Terrebonne, et tous les Gravel de la Saskatchewan. On compte parmi les descendants de Joseph, feu M. le curé Télesphore Gravel, de Shawinigan, feu M. J. A. Gravel, libraire montréalais, feu M. J.-O. Gravel, de Montréal, M. C.-E. Gravel, d'Outremont, feu le docteur Gravel, de Saint-Paul, Minnesota, le docteur L.-J. Gravel, de Montréal, et tous les Gravel de la région de Louiseville. N'oublions pas les trois oncles de Madame Gravel, Mathurin, Jean et Pierre Gagnon, de qui tous lesGagnon canadiens descendent, excepté ceux qui font partie de la postérité de Robert Gagnon, établi à Sainte-Famille, Ile d'Orléans, où il mourut en 1708. |
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